“Tous les pays qui ont perdu une presse républicaine, libre et indépendante...”

Comme annoncé, il y a quelques jours, la Cour suprême du Sénégal a infligé un camouflet au ministre de la Communication, des Télécommunications et du Numérique. Par une ordonnance rendue publique lundi dernier, elle a suspendu l’arrêté n°0011059/MCTN du 22 avril 2025, qui portait cessation de diffusion, de parution et de publication de plusieurs médias appartenant à la journaliste Aïssatou Diop Fall : la chaîne Public SN TV, le quotidien ‘’Le Public’’ et le site public.sn. La décision, rendue le 12 juin par le juge des référés de la Cour suprême, constitue une victoire éclatante pour les principes de liberté d’expression et de liberté de la presse au Sénégal.
‘’La décision du juge des référés est de grande portée pour la liberté de la presse, la liberté d’expression et le renforcement de l’État de droit au Sénégal’’, selon le patron du Conseil des diffuseurs et éditeurs de presse au Sénégal, Mamoudou Ibra Kâne.
Ce jugement survient dans un contexte tendu entre la presse privée et le nouveau régime issu de la troisième alternance politique. Depuis l’arrivée au pouvoir du président Bassirou Diomaye Diakhar Faye, les relations entre le gouvernement et les entreprises de presse se sont considérablement détériorées. Suppressions d’avantages fiscaux, non-paiement des créances publiques, gel des subventions étatiques pour les années 2024 et 2025, rupture unilatérale des contrats publicitaires publics : autant de mesures qui ont plongé le secteur dans une crise profonde. ‘’Toute une panoplie de mesures visent à étouffer fiscalement et économiquement la presse privée sénégalaise’’, a rappelé dans une note partagée avec la presse, M. Kâne, mettant en garde contre une situation devenue intenable pour de nombreux organes.
Le coût de la diffusion sur la TNT a également explosé, forçant certaines chaînes à suspendre leur signal. Mais le point de rupture a été franchi lorsque le ministère de la Communication a tenté, par arrêté, de remettre en cause l’existence juridique de certains médias, invoquant leur non-conformité présumée au Code de la presse. Une décision aujourd’hui suspendue par la Cour suprême, qui rappelle ainsi les limites de l’action administrative face au droit.
La crise que traverse la presse privée sénégalaise est sans précédent. Plusieurs entreprises de presse sont au bord de la liquidation, croulant sous les dettes fiscales, sociales et fournisseurs. De nombreux journalistes ont perdu leur emploi ; d’autres cumulent des mois d’arriérés de salaire, sans couverture sociale ni médicale. Des mouvements de grève se dessinent dans plusieurs rédactions. Des voix s’élèvent pour alerter sur les conséquences d’un affaiblissement durable de la presse.
‘’Tous les pays qui ont perdu une presse républicaine, libre et indépendante en paient actuellement le prix avec une instabilité permanente’’, avertit Mamadou Ibra Kâne. Face à l’urgence, les appels au dialogue et à la préservation de la liberté de la presse se multiplient. ‘’Les appels répétés du président de la République, lancés en Conseil des ministres le 13 août 2024 et le 7 mai 2025, doivent enfin être suivis d'effets, insiste-t-il. ‘’Aux citoyens, aux syndicats, à la société civile, aux confréries, à l’Église, aux partis politiques : il est de notre devoir collectif de préserver la liberté de la presse, condition première à toute démocratie et à tout développement’’, invite le patronat de presse.