La déception est le sentiment le mieux partagé

Deux ans après la décision du gouvernement de diminuer les prix du loyer, se loger à Dakar reste la principale préoccupation des populations. Ces dernières continuent de se plaindre face au refus de certains bailleurs de respecter la loi.
Les populations avaient applaudi la décision « historique » du gouvernement de réduire de 29% les prix du loyer. Deux ans après le vote de cette loi saluée par les bénéficiaires, c’est le retour à la case de départ. Les bailleurs ont réussi à contourner la loi. « Quand ils veulent augmenter les prix, ils demandent aux gens de sortir en prétextant une réfection du local. Une fois que les locataires quittent, ils augmentent le prix au-delà même de celui avant la baisse », fulmine Daouda Guèye. Le natif de Kaolack n’est pas du tout satisfait de la tournure des événements. Tout en reconnaissant l’importance de cette mesure, il estime que l’Etat n’a pas assuré le service après-vente. « La location est devenue même plus chère. Nous, notre bailleur a respecté la loi pour ceux qui étaient là avant la diminution. Mais tous ceux qui sont venus après, il n’a pas pris en compte la réduction », soutient notre interlocuteur trouvé devant chez lui. La situation est partout la même. Dans tous les quartiers, les populations parlent le même langage. « La loi n’a pas produit les effets escomptés. »
L’un des symboles du surpeuplement de la capitale sénégalaise, le quartier Fass, est très animé en cette après-midi du 22 janvier 2016. Des immeubles modernes côtoient des maisons très modestes, créant ainsi un contraste entre riches et pauvres. Ici les inégalités sociales sont visibles. Mais qu’on soit riche ou pauvre dans ce quartier populeux, on se plaint de la cherté du loyer et du non-respect de la loi sur la réduction des prix.
Devant la porte de son appartement, Ibrahima Bâ s’active autour de sa théière. Habillé d’un caftan multicolore, le vieux retraité n’a jamais bénéficié d’une quelconque réduction. Il a appris à travers les médias qu’il y avait une mesure allant dans le sens d’alléger la souffrance des locataires, sans jamais en bénéficier. « C’est mon fils qui avait négocié le contrat de location, bien avant la loi. Mais depuis lors, je paye 150 mille francs CFA, chaque mois. Il n’y a eu aucun changement », déplore-t-il. Assis tranquillement sur son pliant, il invite l’Etat à utiliser tous les moyens à sa disposition pour faire respecter la loi.
En face de l’Appartement du vieux Bâ se trouve le bureau d’une agence immobilière. Une fois à l’intérieur, les responsables sur place refusent de se prononcer sur le sujet. Ce qui n’est pas le cas pour leur voisin avec qui il partage les locaux. Le technicien supérieur en Génie civil, Nguissaly Diao, reste convaincu qu’il n’y aura jamais de réduction effective. A son avis, ce sont les mêmes autorités qui font voter les lois qui ne veulent pas qu’il y ait réduction.
« Les autorités étatiques sont les premiers fautifs. Ce sont eux les propriétaires de certains immeubles, ce qui fait qu’ils n’ont pas intérêt à ce que les prix du loyer baissent », accuse-t-il. Selon lui, ce qui se passe à Dakar est inacceptable. « Une chambre simple varie entre 25 et 75 mille francs CFA. Pour avoir un appartement de deux pièces dans la zone de Fass, Médina et environs, il faut débourser au moins 150 mille francs CFA », soutient Diao avec beaucoup de regrets. Il pense aussi que le coût élevé des matériaux de construction est en partie responsable de cette situation qui préoccupe beaucoup de chefs de famille. « Le TVA à 18%, c’est trop. Et puis une tonne de ciment peut coûter aujourd’hui 60 mille francs CFA, mais c’est comme s’il y a une entente entre les cimentiers », conclut le spécialiste du bâtiment.
Un sentiment d’échec de la très médiatisée loi sur la réduction des prix du loyer anime aujourd’hui la majorité de la population. Le principal problème : «Les bailleurs n’ont pas accepté d’appliquer le texte. » Mais malgré ce constat déplorable, il y a quelques propriétaires qui se sont soumis à la volonté de l’Etat. C’est le cas dans cette maison située à la Médina. Habitée en majorité par des Guinéens, ils affirment que leur bailleur a strictement respecté la mesure des autorités gouvernementales. Trouvé dans sa boutique au rez-de-chaussée de l’immeuble de quatre étages, Woury Diallo affiche sa satisfaction. « Avant, je payais ma chambre à coucher à 40 mille francs CFA. Mais depuis la réduction, je paye 28 mille. Vraiment le gouvernement nous a beaucoup aidés », se félicite le boutiquer. A l’intérieur du bâtiment, tout le monde parle le même langage. « Le propriétaire est un gars respectueux des lois de la République. »
De l’espoir à la désillusion, les populations espèrent une rectification du tir de la part des autorités étatiques et des bailleurs.
ABDOURAHIM BARRY (STAGIAIRE)