Publié le 25 Apr 2022 - 22:11
INSECURITE ALIMENTAIRE A MATAM

Les chiffres de la mascarade

 

Les chiffres officiels annoncés par Jean-Pierre Senghor sur la situation alimentaire dans la région de Matam, ont créé un véritable séisme auprès des populations et des autorités locales. Cinq cent quarante-cinq mille sur les 680 mille personnes vivant dans la région seraient en incapacité d’assurer les trois repas quotidiens. Pour les populations, ces statistiques fallacieuses ne sont que des prétextes pour capter plus de fonds.

 

‘’C’est une honte pour toute la région’’. Tels sont les premiers mots du Dr Mamadou Ndiadé, grand producteur agricole, au sujet du nombre annoncé de personnes en situation d’insécurité alimentaire dans la région de Matam. Elles sont estimées à 549 000, selon le secrétariat exécutif du Conseil national de la sécurité alimentaire. Dans un style sobre et mesuré propre aux hommes de son âge, le directeur général de la société Agro-Astel laisse paraître toute sa frustration. ‘’Il faut contredire toutes ces fables concernant l’insécurité alimentaire à Matam, la famine à Matam. Moi, ça me fait honte, quand j’entends certains dire que Matam a faim, alors qu’on a les potentiels aujourd’hui pour même être des exportateurs nets de produits alimentaires au Sénégal’’, déclare-t-il au beau milieu de la SIPA de Ourossogui.

Les chiffres officiels de la SECNSA soutiennent que plus de 3/4 de la population de la 11e région du Sénégal sont confrontées à une insécurité alimentaire. Mieux, ces populations sont concentrées dans les départements de Kanel et de Ranérou. Ces chiffres paraissent invraisemblables, d’autant plus que, selon la dernière estimation de la population, Ranérou compte 62 000 habitants et Kanel 288 000. Les deux départements cumulent une population estimée à 350 000. La question qui taraude les populations est de savoir comment le nombre de personnes en insécurité alimentaire recensées pourrait-il dépasser le nombre total des habitants. Les 200 000 autres viennent-elles du seul département de Matam ?

Pour Baba Diallo, ces chiffres ne sont que de la poudre aux yeux pour capter davantage de fonds. ‘’Ces statistiques n’ont aucune crédibilité. Quand j’ai vu les chiffres, j’ai failli tomber des nues. Je me demande de quelle région ils étaient en train de parler. Il y a certes des difficultés dans certaines localités de la région, je n’en disconviens pas, mais de là à avancer de tels chiffres, c’est abusé. Ces services balancent des chiffres pour alarmer le gouvernement et les bailleurs et pouvoir capter des fonds. Et nous le savons, la plupart des fonds annoncés n'arrivent pas à destination. Nous demandons un minimum de respect pour la région de Matam’’, fulmine l’enseignant.

DRDR : ‘’Soyons logiques, ça n’a pas de sens’’

C’est auprès des autorités locales que les chiffres de Jean-Pierre Senghor ont généré plus de mécontentement. Le directeur régional du Développement rural, Abdoulaye Camara, n’a que très peu goûté aux statistiques officielles sur l’insécurité alimentaire à Matam. Dans un ton dur et sérieux, il a tenu à mettre les points sur les i. ‘’Depuis que je suis dans cette région, j’ai toujours amené les choses à leurs justes proportions. Maintenant, ces gens qui font ces genres de déclarations sont au même niveau d’information que moi. Donc, s’ils disent des choses pareilles, c’est leur responsabilité. Moi, je dis une simple chose : Matam est une région où un département dans lequel la production agricole provient, au moins pour 60 %, de l’irrigué. Le département de Kanel, la même chose. Alors, comment un département comme cela peut être sinistré en matière de sécurité alimentaire ? Alors qu’un département du bassin arachidier Nord, qui ne compte que sur la pluie, n’est pas sinistré ? Soyons logiques, cela n’a pas de sens’’, s’emporte-t-il.

Du côté du Bureau régional du Conseil de la sécurité alimentaire, on soutient que la situation actuelle qui prévaut dans la région ne serait que la résultante d’une cacophonie générale instaurée par les différents intervenants du secteur. ‘’Il y a une kyrielle d’ONG et de programmes qui interviennent dans le champ de la sécurité alimentaire. Le problème est que personne ne sait qui fait quoi et à quel endroit. Nous n’avons pas les prérogatives pour exiger un suivi-évaluation. Ils captent des fonds, un peu partout, et viennent faire un semblant d’actions sociales, puis disparaissent. Quand nous leur demandons des comptes, ils trouvent toujours les moyens auprès des autorités de passer entre les mailles du filet. C’est dommage, mais nous sommes impuissants face à cette situation’’, se désole cet homme d’une cinquantaine d’années sous couvert de l’anonymat.

En effet, c’est un chapelet d’organisations non gouvernementales qui interviennent dans la région pour, soit endiguer l’insécurité alimentaire, soit renforcer la capacité de résilience des populations vulnérables. Et pourtant, les résultats semblent aller de mal en pis.

44 milliards en cash dans cette semaine, une bamboula en perspective

Les statistiques alarmantes ont choqué au plus haut de l’État. Déjà, le ministre secrétaire général du Gouvernement, Abdoul Latif Coulibaly, a annoncé une enveloppe d’une quarantaine de milliards pour aller à la rescousse des populations-cibles. ‘’Le gouvernement, qui avait déjà pris les devants, va, dès la semaine prochaine (NDLR : cette semaine), en relation avec les partenaires au développement, lancer un transfert cash de l’ordre de 40 à 44 milliards’’, fait-il savoir. Cette diligente réaction n’étonne pas Mamoudou Sow, agent de développement : ‘’C’est une mascarade. Ils inventent des chiffres pour attirer les bailleurs. Je suis un homme du sérail ; je sais comment ça se passe. Les personnes supposées ciblées ne verront pas la couleur de cet argent. C’est une bamboula qui se prépare tout bonnement’’, analyse-t-il. Lui qui a une solide expérience de plus de deux décennies auprès des ONG.

Abondant dans le même sens, Siley, Professeur d’histoire et de géographie, trouve que cette somme est dégagée juste pour financer la prochaine campagne des Législatives. ‘’Ils ont juste créé un prétexte pour décaisser une forte somme. Cette somme dégagée servira à financer les campagnes législatives. C’est tout. Soulager les maux de cette frange de la population reste le cadet de leurs soucis. Mais ils auraient pu y mettre la forme, pour que cela paraisse moins fallacieux’’, soutient-il.

Une astuce pour Jean-Pierre Senghor d’avoir une audience avec Macky

Ainsi, les chiffres du SECNSA sont balayés d’un revers de la main, à l’unanimité. Pour certains responsables politiques de la région, cette sortie de Jean-Pierre Senghor n’est pas fortuite. Elle a été savamment orchestrée par le candidat malheureux de la mairie de Sédhiou.  ‘’Jean-Pierre Senghor est en perte de vitesse, depuis son revers aux dernières élections locales. Il cherche à se remettre en selle et pour cela, il veut toucher une partie du Sénégal spéciale aux yeux du chef de l’État. Il veut secouer le boss, trouver une astuce pour discuter de vive voix avec le président Macky Sall. Mais il sait parfaitement que les chiffres avancés ne sont que le fruit d’une pure invention’’, conclut-il.

Djibril Ba

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