Publié le 12 Jun 2020 - 03:54
SOUTIEN ENTREPRISES IMPACTÉES PAR LA COVID

Les conditions jugées très restrictives par le privé

 

Les clauses imposées aux entreprises impactées par la crise sanitaire de la Covid-19, notamment celles du privé par le gouvernement, pour bénéficier d’une subvention ou d’une remise partielle de la dette fiscale, sont trop limitatives. C’est ce qu’ont soutenu des acteurs du privé, interpellés par ‘’EnQuête’’ sur la question.

 

Ils se sont réjouis au départ, à l’annonce du chef de l’Etat de soutenir les entreprises touchées par les effets négatifs de la Covid-19, particulièrement celles du secteur privé. Mais, aujourd’hui, après la publication des deux arrêtés, le 6 juin dernier, fixant les modalités d’application des dispositions de l’article 706 bis du Code général des impôts (CGI) relatif à la remise partielle de la dette fiscale due par les contribuables au 31 décembre 2019 et celui précisant la notion d’activité directement impactée par la crise liée à la pandémie de Covid-19 et les modalités d’allocation de la subvention prévue, les acteurs du privé ne sont plus aussi enthousiastes.

‘’Les conditions qui sont posées pour pouvoir bénéficier et des allégements fiscaux et de l’appui financier de l’Etat sont très restrictives. Il ne faut pas qu’il ait deux poids, deux mesures. Par exemple les acteurs du secteur de la culture. Il leur a été octroyé des fonds sans aucune contrepartie, sans qu’ils ne remplissent toutes les conditions qui sont édictées pour les entreprises. Il y a le principe général de soutien aux entreprises impactées. Dans la réalité, cela risque de limiter l’aide de l’Etat’’, regrette le président du Conseil des diffuseurs et éditeurs de presse du Sénégal (CDEPS) joint au téléphone d’’’EnQuête’’.

Mamadou Ibra Kane n’est pas le seul à juger ces clauses limitatives. Cet avis est partagé par le secrétaire général du Syndicat des travailleurs du BTP. ‘’C’est bien que le gouvernement s’intéresse à la survie de certaines entreprises qui sont vraiment impactées. Nous accueillons d’une manière générale ses efforts. C’est une démarche positive et les gouvernements responsables dans les tous les pays du monde font la même chose. En Europe, des milliards d’euros sont débloqués pour sauver les entreprises, surtout le tourisme, l’hôtellerie, le transport, les écoles, le BTP qui sont très impactés. Seulement, dans les détails, j’ai remarqué que les conditions sont un peu dures. Il faut donner des tas de justificatifs. On aurait souhaité des conditions plus souples. Parce que les gens sont tellement fatigués’’, dit le colonel Mbareck Diop, par ailleurs membre du Conseil national du patronat du Sénégal (CNP).

Au fait, face à une telle rigueur des textes, le patron de la CDEPS a fait comprendre que les entreprises ne pouvant recevoir le soutien de l’Etat seront ‘’obligées de tenter leur survie’’ par soit le chômage technique ou le licenciement. Ceci, même si avec l’ordonnance du 2 avril dernier, aucun licenciement n’est possible. ‘’Mais dès la sortie de la période d’urgence sanitaire, les entreprises qui sont très mal-en-point, dans tous les secteurs, risquent de procéder à des aménagements sociaux. De manière générale, au Sénégal, très peu d’entreprises sont formelles. Beaucoup d’entreprises sont plutôt informelles et pourtant, elles se débrouillent bon an, mal an, elles emploient même des travailleurs, même si c’est en violation du Code du travail, des différentes conventions collectives. C’est une réalité de notre tissu économique’’, affirme Mamadou Ibra Kane.

Mamadou Ibra Kane : ‘’S’il n’y a pas d’assouplissements, peu d’entreprises vont bénéficier de ces avantages’’

Monsieur Kane estime que ‘’ce n’est pas de manière rigide’’, à travers les deux arrêtés du ministère des Finances et du Budget, qu’ils peuvent aider les entreprises. ‘’Maintenant, chaque secteur peut négocier avec le ministère des Finances pour voir comment l’Etat va aider ses entreprises pour qu’elles ne ferment pas. Il y a aussi l’aspect bancaire où, avec la convention qui a été signée entre l’Association des banques et établissements financiers et le ministère des Finances, des possibilités de financement très intéressantes qui permettraient, si les banques jouent le jeu, au moins à certaines entreprises de disposer des fonds pour tenter de passer la période Covid-19’’, admet-il.

D’après lui, selon les secteurs, il y a une période de différé d’un an au moins, plus cinq ans de crédit à un taux préférentiel de 3,2 ou 3,5 % en TTC (toutes taxes comprises). Ce qu’il trouve ‘’très intéressant’’. ‘’Parce que le crédit, au Sénégal, est très cher. Donc, ces entreprises pourraient bénéficier d’un taux plus favorable. Mais les conditionnalités qui sont posées pour bénéficier de tout cela sont rigides. Certainement, il y aura des assouplissements. C’est vraiment quelque chose d’assez surprenant. Il est vrai que c’est de l’argent public et qu’on ne doit pas le donner dans n’importe quelle condition’’, renchérit M. Kane.

Que ce soit le volet fiscal ou la compensation financière ou encore l’accès au crédit, pour lui, les conditions ‘’sont très dures’’. ‘’Car beaucoup d’entreprises sont semi-informelles. Elles ne peuvent pas fournir tous les documents demandés. Il y a certes des entreprises qui étaient en crise avant la pandémie, mais celle-ci l’a aggravée. En réalité, on dit que leurs performances économiques auraient changé durant la pandémie de 33 % en moyenne’’, poursuit-il.

Sur ce, le président de la CDEPS souligne que ‘’s’il n’y a pas d’assouplissements, peu d’entreprises vont bénéficier de ces avantages. La plupart d’entre elles, y compris dans le secteur de la presse, où sur une quarantaine, c’est peut-être une dizaine qui va en bénéficier de la manière la plus large qu’il soit. Il y a certaines entreprises qui, malgré leur statut semi-formel, sont des entreprises avec des travailleurs’’.  Pour le secteur de la presse, M. Kane suggère une ‘’négociation’’ avec le gouvernement pour qu’il puisse mettre en place un fonds de dotation, comme ils l’ont fait pour la culture. Ceci en tenant compte du montant de l’investissement dans le secteur, de la masse salariale, du nombre de personnels, etc. ‘’Sur la base de ces critères, ils vont voir comment aider les entreprises qu’elles soient formelles au sens strict du terme ou quelque peu informelles’’, préconise-t-il.

Les entreprises spécialisées dans la diffusion et l’édition de journaux ne seront pas les seules à buter sur ces mesures. Le SG du syndicat du BTP a, par ailleurs, indiqué qu’il a déjà transféré les arrêtés aux différents membres de son syndicat. Mais il n’a pas encore de retour. ‘’Mais, globalement, toutes les entreprises du BTP ne pourront pas remplir ces conditions. Ils vont laisser certaines sur le quai de la gare. Le train va passer et il y aura des gens qu’il va laisser sur le quai, parce que n’ayant pas rempli les conditions et c’est ce qui est malheureux. On devrait assouplir les conditions pour faire repasser la machine. Il faut être vraiment plus ambitieux. On aurait pu faire mieux’’, souligne le colonel Mbareck Diop. Ce dernier signale que si les entreprises ‘’ne repartent pas, l’emploi ne va pas repartir’’.

‘’Or, le gouvernement est très attaché à l’emploi. Ils ont demandé que les entreprises ne licencient pas. Ils ont fait des actes qui l’imposent. On a essayé d’être des patriotes qui essaient de respecter les consignes. Mais c’est un peu trop, quand même. Le premier souci de l’entrepreneur est de sauver les emplois pour mener ses activités. S’il n’a pas cette possibilité pour gagner de l’argent, il ne pourra pas le faire’’, conclut-il.

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REMISE PARTIELLE DETTES FISCALES ET ALLOCATION DE SUBVENTION

Ce que prévoient les textes

L’arrêté n°05.06.2020-010330 fixe les modalités d’application de la remise partielle de dettes fiscales au profit des contribuables dont l’activité est directement impactée par la crise liée à la pandémie de Covid-19, prévue par les dispositions de l’article 706 bis de la loi n°2012-31 du 31 décembre 2012, portant Code général des impôts (CGI) modifié.

D’après le document signé par le ministre des Finances et du Budget Abdoulaye Daouda Diallo, une remise partielle de dettes fiscales peut être accordée aux contribuables dont l’activité normale a été impactée par la crise liée à la pandémie de Covid-19, lorsqu’elle a abouti à une des situations suivantes : ‘’Un arrêt total ou partiel, dûment constaté, des activités professionnelles, une fermeture des locaux professionnels découlant de l’absence d’activité, une mise en chômage technique du personnel représentant au moins 50 % des effectifs permanents et baisse d’au moins 33 % du chiffre d’affaires réalisé pendant les mois de mars, avril et mai 2020, comparativement à celui réalisé au cours des mêmes mois de l’exercice précédent. Elle peut également être accordée aux administrations et organismes publics assimilés bénéficiant de transferts budgétaires de l’Etat.’’  

Le document dont ‘’EnQuête’’ dispose une copie, informe que la remise partielle porte sur les dettes fiscales des personnes physiques ou morales constatées du 31 décembre 2019 par des titres exécutoires établis à la suite d’un contrôle ou issu de déclarations faites par le contribuable, comme prévu à l’article 643 du CGI. ‘’La remise peut porter sur tous les impôts, droits, taxes ou redevances destinés aux budgets de l’Etat ou des collectivités territoriales, à l’exclusion de ceux qui ont effectivement fait l’objet de retenue à la source ou de collecte et dont le reversement n’a pas été effectué. Cette exclusion ne concerne pas les administrations et les organismes publics assimilés bénéficiant de transferts budgétaires de l’Etat’’, lit-on dans le texte.

Ainsi, pour bénéficier de cette remise, l’entrepreneur doit notamment fournir des renseignements sur son identité et la recevabilité de sa demande, les éléments généraux de mesure de l’activité de l’entreprise, à savoir son chiffre d’affaires mensuel réalisé de janvier au mois précédent le dépôt de la demande, celui réalisé au cours des mêmes mois de l’année 2019. Mais aussi des éléments sur les charges de personnel et de la situation de la dette fiscale de l’entreprise.

Il est notifié, dans le chapitre 4 du document, principalement à l’article 13, que lorsque la demande est recevable, le Comité d’analyse et de proposition de remise de dettes fiscales (CRED) statue et propose un intervalle de remise qui est également déterminé selon des critères. Un pourcentage de 40 % est d’office accordé à tout débiteur qui souscrit à la mesure de remise de dettes. Ce pourcentage est porté à 50 % pour les débiteurs évoluant dans les secteurs du tourisme, de la restauration, de l’hôtellerie, du transport, de l’éducation, de la culture, de la presse et de l’agriculture directement impactés par les effets de la pandémie de Covid-19.

Un pourcentage supplémentaire de 15 % est accordé en cas d’effort fiscal significatif. Le calcul de l’effort fiscal tient compte des paiements effectués du 1er janvier jusqu’au moment du dépôt de la demande de remise. ‘’Tout paiement égal ou supérieur à 10 % de la dette fiscale est considéré comme significatif. Un autre pourcentage supplémentaire de 20 % est alloué, si le débiteur s’engage, au moment de la demande, à solder le reliquat de la dette dans un délai ne dépassant pas six mois consécutifs, à compter de la notification de la décision accordant la remise partielle. En aucun cas, ce délai ne peut dépasser 12 mois. Par exception aux dispositions susvisées, la proposition de remise peut porter sur la totalité de la dette due par les administrations et organismes publics ou assimilés visés à l’article 2 du présent arrêté’’, précise la tutelle.

Les entreprises ‘’exclues’’ du bénéfice des avantages prévus par l’arrêté

L’arrêté précisant la notion d’activité directement impactée par la crise liée à la pandémie de Covid-19 et les modalités d’allocation de la subvention prévue par l’article 185 bis du Code général des impôts, a été également pris par la tutelle, dans l’optique de soutenir les entreprises touchées par les effets de la pandémie.  Comme pour la remise partielle de la dette fiscale, la subvention est accordée aux entreprises remplissant les conditions déjà citées.

‘’Lorsqu’une personne exerce à la fois des activités impactées telles que définies par le présent arrêté et d’autres relevant d’un secteur non-éligible, il lui appartient de définir la proportion d’impôts et taxes bénéficiant du régime de la subvention directe prévue à l’article 5 en appliquant au total des retenues dues une fraction constituée au numérateur du chiffre d’affaires de l’exercice précédent réalisé sur les activités éligibles et au dénominateur du chiffre d’affaires total de l’exercice précédent’’, renseigne le texte. Toutefois, le département d’Abdoulaye Daouda Diallo note que les entreprises en difficulté avant la survenance de la pandémie ainsi que celles créées ou immatriculées postérieurement à la déclaration de l’état d’urgence sont ‘’exclues’’ du bénéfice des avantages prévus par le présent arrêté.

MARIAMA DIEME

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