Publié le 18 May 2018 - 19:11
13e BIENNALE DE DAKAR

L’art prend ses quartiers dans les rues de la capitale

 

Les différentes parties de la capitale reçoivent leur lot d’œuvres d’art, en cette période de la Biennale. Au point de chute des quartiers de la Médina, Gueule tapée et Soumbédioune, l’art est vu autrement, fait autrement et surtout compris par les populations.

 

Dakar et ses artères vibrent au rythme de la Biennale. A la Gueule tapée, le canal longeant le marché et menant à Soumbédioune a été choisi comme lieu d’exposition. Elle est sous la supervision de la commune de Fass-Colobane-Gueule tapée et du Collectif des artistes de l’Espace Médina. Sur l’étendue du  canal, les étals des vendeurs se mêlent aux articles d’art. Des hangars faits de bambous et de tissus bleu-ciel abritent les affiches. Pour les habitants du quartier, ce n’est pas la grande attraction, contrairement aux passants qui viennent d’ailleurs. Ici, fripiers, vendeurs de chaussures et d’autres articles côtoient ces œuvres d’art dispersées le long du marché de la Gueule tapée. Aïcha, célèbre lavandière du quartier, rangeant ses bassines, explique : ‘’C’est au premier jour que l’exposition a attisé ma curiosité de même que d’autres personnes vivant ici. Mais j’ai demandé aux organisateurs et aux artistes, et ils me l’ont expliquée de façon très simple. Ils sont très courtois et disponibles.’’

Vendeurs ou riverains savent tous ce qui se passe et surtout ce que c’est que la Biennale, grâce à des exposants enclins à partager leur savoir-faire et à expliquer le sens de leurs œuvres. Pour les enfants, c’est un espace de rassemblements et de jeux. Les jeunes et les adultes observent, discutent et prennent des photos.

Dans le lot d’artistes, les plus innovateurs sont sans doute les Tambacoundois. Fondateur du concept Art’griculture, Negger Dou est un rappeur qui allie musique et agriculture. Art’griculture est né après son voyage en Europe, en septembre 2017. Les conditions de vie précaires de ses amis et proches sénégalais qui avaient pourtant mené une vie paisible au Sénégal, lui ont donné à réfléchir. Il estime que l’heure n’est plus à la sensibilisation, mais à l’action si l’on veut lutter contre l’émigration clandestine. Tamba est la toute première ville témoin de ce nouveau projet. Il y a mis sur pied un jardin de fruits et légumes dénommé Terra Nostra. Pour lui, la terre est une richesse pour l’Afrique. ‘’Les jeunes doivent travailler pour sortir de toute dépendance financière. Nous avons la chance d’avoir des sols fertiles, il faut en profiter’’, affirme-t-il. Son hangar abrite un petit jardin, des messages affichés en wolof, pulaar, anglais et français. Negger Dou estime que l’agriculture doit être galvanisée, car c’est une porte ouverte au développement et un domaine pourvoyeur d’emplois pour les jeunes.

 Son groupe comprend des graphistes, des peintres et des sculpteurs comme Saliou Diop. Ils sont tous engagés pour préserver les richesses naturelles de la région de Tambacounda. Ce dernier œuvre, pour sa part, à la protection de l’environnement. En recyclant des ordures et des objets jetés çà et là, il fabrique des œuvres en représentant des animaux, des espèces en voie de disparition au parc Niokolo Koba de Tamba. Derrière ses lunettes de soleil, il affirme avec fierté que ‘’dans ce pays, nous avons tout pour réussir et qu’il revient à la jeunesse de créer, d’innover et de travailler afin de limiter les embarquements clandestins pour l’Europe’’. Un combat à double objectif qu’il porte avec des enfants et des jeunes de la localité.

L’art au cœur du quotidien sénégalais

En cette fin d’après-midi, les visiteurs se montrent de plus en plus. Africains ou Européens, ils affirment qu’il y aurait dû avoir plus d’attraction autour de cet événement. ‘’Ces artistes font des choses extraordinaires. Leurs œuvres sont tellement bien pensées. Mais regardez autour de vous, ça n’intéresse personne’’,  se désole Marina, une Togolaise vivant à Dakar.

 Les peintres du Village artisanal de Soumbédioune ne sont pas en reste. Les tableaux d’Amdy Moustapha Niang en sont la preuve. L’homme peint le quotidien des habitants de son quartier Gueule tapée. Les disputes dans le marché, les moments troubles du Sénégalais lambda… Bref, son milieu l’inspire. Modou Sarr, artisan dans le même village, déplore la faible affluence qui, pour lui, est un défaut d’organisation. Il estime que l’Etat aurait dû trouver une stratégie pour rendre ce site plus attrayant. Une semaine plus tôt, il y a eu le rassemblement hebdomadaire des vendeurs ambulants communément appelé ‘’marché mercredi’’, coïncidant avec les expositions. Les artistes considéraient que c’est un manque de respect, parce que la Biennale est en cours sur le même site.

De l’autre côté de la route, à la Médina, se trouve l’Espace Médina, une maison d’artistes du coin qui se veut originale dans le déroulement de la Biennale. Selon le chef de projet et designer Cheikh’A,  ‘’Mon super kilomètre’’ est un nouveau concept qui devrait rapprocher artistes et riverains. Il s’agira, pour le peintre, le sculpteur ou le photographe, de côtoyer la vendeuse de poisson, le menuisier ou le fripier.  ‘’L’art n’est plus cette chose lointaine et élitiste pour le citoyen, mais il va s’implanter dans son lieu d’habitation, dans ses réalités. Aujourd’hui, demandez à n’importe quel réparateur de voitures du quartier ce que c’est que la Biennale, il saura vous expliquez dans sa langue ce que nous lui avons appris. Pour nous, l’artiste ne doit pas être retranché dans un petit coin, dans son univers, mais doit se frotter aux populations et leur parler de ce qu’il fait’’. Un concept qui attire et augmente jusque-là le nombre de visiteurs.

Emmanuella Marame Faye (stagiaire)

 

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