Publié le 10 Sep 2012 - 16:41
ENTRETIEN AVEC MAME LESS CAMARA (INTEGRALITE)

''Le Président pourrait tirer les conséquences si...''

 

Comment devrait être un discours de politique générale après l’ère Wade ?

Pendant l’ère Wade, les discours de politique générale étaient toujours des compilations des programmes ministériels. Cela faisait que c’étaient des exposés très longs, trop détaillés qui ne donnaient pas une idée d'ensemble d’une politique générale comme cet exercice l’indique. C’étaient plutôt des rapports demandés aux différents ministères. Et ces rapports-là étaient presque restitués comme tel, il y a des effets de répétition. Un effort d’abstraction pouvait permettre à l’esprit de comprendre où on va et sans rester dans le détail de ce qu’on va faire. Cela faisait que ce n’était pas un discours de politique générale, mais beaucoup plus une addition de politiques ministérielles. Cette fois-ci, ce changement pourrait venir si le Premier ministre indiquait des objectifs et donnait une idée générale des moyens par lesquels ces objectifs seraient atteints.

 

Quels devraient être les grand axes du discours ?

Les problèmes sont nombreux ; il y a lieu d’intervenir partout. Le système éducatif est à repenser. Dans l’agriculture, il faudra changer en s’attaquant à la filière arachidière. Pour atteindre l’autosuffisance, l’agriculture a été mal en point, donc, l’autosuffisance n’a pas été atteinte. Dans le domaine de l’industrie, on a vu que les deux principales organisations patronales (Ndlr : Conseil national du patronat - CNP - et la Confédération nationale des employeurs du Sénégal - Cnes) ne donnent pas l’impression d’avoir été boostées comme elles l’espéraient avec le discours libéral du président de la République. Tout est à revoir et à refaire. Il y a eu des infrastructures ; ou bien elles ont été très chères, ou bien on en a construit, comme dans le domaine de l’éducation, sans une mise en adéquation entre les structures et ce dont on a besoin. C’est peut-être une chance pour le Premier ministre qui a devant lui un champ de ruine que lui a légué l’ancien régime. Il devra tout reconstruire globalement avec des schémas assez simples à travers lesquels il peut persuader le public. Le défi du Premier ministre, c’est de savoir comment allier deux types de discours : un discours réaliste parce que son patron, le président de la République, a tellement promis durant une élection récente qu’il lui faut ramener tout cela à la raison. Dans le même temps, les promesses du président de la République avaient commencé à faire espérer la population. L’autre discours, c’est celui de maintenir l’espoir, à ne pas affoler le compteur, à ne pas faire rêver les populations, tout en demeurant rationnel.

 

On a beaucoup parlé, ces derniers temps, de brouille entre le président de la République et son Premier ministre. Le fait que Macky Sall renvoie à Abdoul Mbaye la première mouture de son discours de politique générale sans y changer une virgule est-il une manière de démentir cette information ?

Si cette information est avérée, cela veut dire que le président de la République renvoie le Premier ministre à ses responsabilités. Le texte ne sera pas partagé entre le président de la République qui définit les nouveaux axes et le Premier ministre qui est chargé de les appliquer. Je ne pense pas que ce renvoi sans modification du contenu signifie nécessairement un signe de confiance, mais peut-être un test supplémentaire pour le Premier ministre qui devra, tout seul, convaincre les députés. Et c'est peut-être un feu vert du président de la République à sa majorité pour qu’elle considère ce texte comme quelque chose qu’il faut passer au crible. Autrement dit, faire le travail que le président de la République ne peut pas lui-même faire ; ce n’est pas son rôle. Le Premier ministre est responsable devant l’Assemblée nationale. Si les critiques décrédibilisent le Premier ministre, le président de la République pourrait en tirer les conséquences quasiment sur la base de compétence reconnue ou non par la représentation nationale.

Le Premier ministre est de nature très serein. Pensez-vous qu’il sera en mesure de supporter les éventuelles attaques de députés de l’opposition ?

Cela va être certainement un exercice nouveau pour quelqu’un qui n’a pas eu de cursus politique connu. Il a eu quelques velléités de s’engager en politique sous les socialistes notamment, mais sans prendre véritablement part au corps à corps souvent très vigoureux avec les militants et adversaires politiques. Quand il a eu cette promotion politique en tant que Premier ministre, on l’a littéralement fait entrer par le sommet de l’entonnoir. C’est-à-dire par le haut sans avoir à se bousculer dans des sections. D’autre part, son parcours professionnel est un cas assez singulier. Quand on est directeur général à 29 ans et quand on a surfé toujours au sommet de la vague, de banque en banque, BIAO, CBAO, Banque sénégalo-tunisienne - pour ce que j’en sais, on a toujours eu une position de commandement qui pouvait faire taire les critiques en décidant de mettre fin au débat. Mais là, il va se trouver exposé à la critique, parfois à la malveillance des députés qui ne l’écoutent pas nécessairement pour applaudir mais pour le critiquer. Il a des adversaires politiques, notamment ceux du Parti démocratique sénégalais (PDS) qui vont chercher la petite bête, qui vont lui dire des méchancetés. Tout cela fait que si jusque-là il a eu cette image d’un homme équilibré, zen, c’est parce qu’il n’a pas encore fait l’objet de critiques parfois désordonnées et malveillantes. Maintenant, c’est quelqu’un qui est reconnu compétent dans son métier et qui a eu cinq, six mois à la tête du gouvernement, qui a mené sa barque sans faire trop de dégâts. Ces qualités devront lui permettre de faire face aux députés dans la deuxième partie de la séance (Nrld : interventions des députés après la lecture de la déclaration de politique générale). Il devra puiser dans ses ressources mentales pour faire face à des députés dont certains sont des politiciens aguerris, à faire face à son prédécesseur à l’Assemblée nationale (Ndlr : l'ex-Premier ministre Souleymane Ndéné Ndiaye) ; donc à des gens qui connaissent le pouvoir pour l’avoir exercé eux-mêmes.

 

Justement, peut-on faire une comparaison entre le Premier ministre et ses prédécesseurs ?

Effectivement, (Moustapha) Niasse et Souleymane Ndéné Ndiaye l’ont fait avant lui. Et il y aura une troisième oreille attentive, celle du président de la République, qui est à compter parmi ceux qui ont présenté une déclaration de politique générale. Donc la comparaison ne peut pas manquer. On se souvient de la présentation vigoureuse de Niasse avec quasiment des menaces contre ceux qui viennent de partir (les responsables du Parti socialiste) et la faute qu’il a mise sur leur dos. Ou le discours hyper exhaustif de Souleymane Ndéné Ndiaye qui a été long, ce n’était que des énumérations de projets, etc. Cette fois-ci, il va devoir innover par rapport à ses prédécesseurs. Il va tout mettre sur le dos de l’ancien régime ; ça on le sait déjà. On attend des solutions, mais des solutions qui soient des réalités et qui lui permettent de garder le contact avec les populations.

 

DAOUDA GBAYA ( La suite à 16heures)  

 

 

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