Publié le 9 Nov 2012 - 10:10
ENTRETIEN AVEC... IBA DIA, INSTRUCTEUR À LA FIFA

''Koto ne pouvait pas manager l'équipe''

 

Plus de trois semaines après l'élimination du Sénégal de la Coupe d'Afrique des Nations (CAN) de football 2013, le débat autour du foot se poursuit. Face à la crise qui s'est déclenchée au lendemain de ce fiasco, Iba Dia s'est livré aux questions de EnQuête. Dans cet entretien, l'entraîneur de foot et instructeur à la FIFA affirme que le PM Abdoul Mbaye n'avait pas été bien conseillé de demander à la Fédération sénégalaise de football (FSF) de démissionner.

 

 

Comment analysez-vous la crise que traverse actuellement le foot sénégalais ?

 

Je pense qu'il faut commencer au début, quand le Sénégal préparait le match contre la Côte d'Ivoire ou encore l'après Bata avec toutes les conséquences que cela a apportées : c'est-à-dire la démobilisation, la tentative de refaire avec Koto, un adjoint qui est finalement passé titulaire. Quand il a été confirmé et qu'il a signé un contrat, le match phare, c'était contre la Côte d'Ivoire. Le Sénégal qui s'est mal classé à Bata, s'est mis dans une situation délicate et est tombé sur les Éléphants. Et la fédération lui a demandé d'éliminer cette équipe. Je pense qu'un entraîneur et une fédération sensés n'auraient même pas demandé cela à un grand spécialiste de football. La Côte d'Ivoire est une équipe parfaite, elle est passée dans les normes de préparation, avec la gestation, la confirmation, en évitant la phase de déclin ainsi que le renouvellement. En plus, c'est une équipe qui compte, avec le Ghana, le plus de joueurs qui évoluent dans les quatre grands championnats d'Europe : Angleterre, France, Espagne et Italie. Et c'est cette équipe-là que les dirigeants avaient demandé à Koto d'éliminer avec un groupe qui est en gestation. C'est là qu'est survenu le problème, car les joueurs qui avaient pris part à la dernière CAN n'étaient pas venus. C'est ainsi qu'il (Koto) a fait deux matches, très moyens d'ailleurs, contre le Liberia et l'Ouganda. Et sur cette base qu'il a été confirmé, ce qui est pour moi fallacieux, très léger. A partir de ce moment, les dés étaient déjà jetés, il fallait donc éliminer la Côte d'Ivoire et cela a coïncidé avec un ministre que je considère comme un homme de la rue. J'ai découvert El Hadji Malick Gakou (ancien ministre des Sports) quand il a été nommé ministre et j'ai été très déçu dans sa manière de gérer les dossiers de l'État. C'est un vrai banlieusard. Et avant le match, il a animé un mouvement que je peux appeler ''nous allons battre la Côte d'Ivoire''. C'est ce dernier qui a joué le rôle du 12e Gaindé et a accentué et donné des pouvoirs exorbitants au public en faisant croire qu'il pouvait faire gagner l'équipe. Me Augustin Senghor (président de la FSF), lui aussi, a presque repris les mêmes propos en disant : ''Nous pouvons le faire parce que nous avons marqué deux buts à Abidjan.'' Mais ces buts ont été inscrits hors de la surface, et j'avais écrit un papier pour dire que la Côte d'Ivoire ne prendra jamais ce genre de buts. On a fait croire aux gens que c'était possible d'éliminer cette équipe. Gakou est allé même puiser dans le monde de la lutte en mettant des lutteurs au devant de la scène et en transformant le stade en arène. Tout le monde a poussé ; on voyait même à la télévision tous les jours des présentations du 12e Gaindé.

 

Donc pour vous, Koto ne pouvait pas qualifier cette équipe à la CAN ?

 

Koto ne pouvait pas manager l'équipe. Je vais vous donner un secret : le Directeur technique national (Dtn) Mayacine Mar avait organisé une journée du partage où il avait insisté pour que j'y prenne part alors que je voulais fuir. Finalement ça nous a permis de nouer de très bons rapports, parce que nos relations étaient exécrables avant. Deux semaines avant le match de Dakar, il m'a dit qu'il voulait discuter avec moi et deux autres anciens dont je ne citerai pas les noms, pour que, avec Koto, on puisse discuter des aspects techniques du match afin de l'aider à faire un bilan technique. Mais cela ne s'est jamais fait parce que Koto, dans sa conférence de presse, avait déclaré qu'ils avaient déjà fait le bilan technique, qu'ils savaient comment s'y faire.

 

 

La FIFA dit : ''Je peux vous aider à avoir des infrastructures mais de grâce, rayez le navétane du football''

 

Comment appréciez-vous la sortie du Premier ministre Abdoul Mbaye, qui avait demandé à la FSF de démissionner après l'élimination des Lions de la CAN 2013 ?

 

Abdou Mbaye n'a pas été bien conseillé et il ne devait pas aller demander à la fédération de démissionner. Si elle démissionne, qui va s'occuper des juniors, des cadets et des olympiques ? Je pense que le Premier ministre a été appelé à réfléchir encore, car c'est impossible d'enlever une fédération comme on veut. Maintenant, il est obligé de faire avec cette fédération jusqu'à la date de la prochaine Assemblée générale (Ag), à moins qu'il négocie avec cette dernière pour anticiper la date de la tenue de l'Ag. Mais c'est une période de bonne gouvernance. N'oublions pas que la charte des sports a été établie par l'État. Celle-ci dit que chaque fédération sportive, qui a reçu son récépissé agréé au Sénégal, peut s'affilier à sa fédération internationale, mais à la seule condition d'être en conformité avec les lois et normes du pays. Et c'est ce que la FIFA avait écrit dans sa lettre adressée à Bounama Dièye pour que l'État du Sénégal lui donne les délégations de pouvoir. Si le Premier ministre veut faire partir la fédération, il faut donc qu'il négocie avec celle-ci afin d'anticiper l'Ag.

 

Mais jusque-là rien n'a bougé. Où est-ce que ce conflit peut aboutir ?

 

Vous savez, nous sommes dans un pays pauvre, très saturé, où retourner la veste à quelqu'un, c'est comme de l'eau à boire. L'État peut se préparer à coopter des gens dans le mouvement associatif et les convaincre à prendre part à l'Assemblée générale. Parce que cette affaire ne fait que nous créer des problèmes, à commencer par un possible renvoi du match amical (Le Niger reçoit le Sénégal le 14 novembre). Ce matin, j'ai lu dans la presse que ce ne sera heureusement pas le cas, sinon cela envenimerait les choses. Pour moi, Abdoul Mbaye doit être en bonne intelligence avec les fédéraux en montrant de la bonne volonté. Il doit ouvrir les portes comme il l'a fait avec le Comité directeur et Augustin Senghor en finançant le match et en étant prêt au dialogue. Actuellement, l'intérêt du football sénégalais n'est pas en jeu, personne n'y pense ; c'est des problèmes crypto-personnels. L'honneur de la Nation est mis de côté. L'Etat, fier de sa souveraineté, ne veut pas être bafoué, tandis que de l'autre côté aussi, la fédération s'adosse à la FIFA pour être indéracinable, ce qui n'est pas comme avant.

 

Une Ligue professionnelle doit être mise en place par étape. Mais ce que Saer Seck a fait, c'est juste vouloir faire passer Diambars tout de suite sans motivation sportive

 

Et le football local dans toute cette affaire ?

 

Le football local n'existe pas, il est miné par les navétanes (Championnats populaires). Il ne peut exister deux football dans un pays, c'est impossible. Quand j'étais au Ministère de la Jeunesse, à chaque venue d'un ministre, on proposait la suppression des navétanes, ou de le désorienter ou de ne pas en faire un mouvement associatif. D'ailleurs, la FIFA, sur sa feuille de route, demande que le navétane soit intégré au sein de la fédération, parce qu'elle ne connaît pas le football populaire mais plutôt celui de masse. Au Sénégal, les autorités donnent plus de moyens aux navétanes qu'au football organisé. Elles vont même jusqu'à déloger le foot local de ses stades. C'est pourquoi la FIFA dit : ''Je peux vous aider à avoir des infrastructures, mais de grâce, rayez le navétane du football''. Et ce sont les dirigeants de ce mouvement qu'on retrouve à la fédération. Avec cela, comment pouvons-nous avancer ? Les maires et autres autorités locales aussi, au lieu de financer le football organisé, soutiennent le football populaire qui ne peut aller nulle part. Les joueurs qui évoluent dans le championnat jouent un ou deux matches et ils vont continuer en navétanes. Les joueurs qui sont censés être des professionnels échouent parce que la fédération ferme les yeux et les pousse à aller vers le foot populaire, parce que ce sont les dirigeants de ce mouvement qui dirigent notre football. Et quel est ce ministre qui aura le courage de régler ce problème ? Je ne le vois pas.

 

Comment réorganiser le foot ?

 

Il faut revaloriser le mouvement du football civil d'antan, redonner aux clubs une dimension apolitique et que tous ces maires, ces fanfarons, les ''m'as-tu vu'', ces nouveaux riches soient écartés de la gestion du football pour que les sportifs prennent les rênes de ce sport. Il ne faut pas aussi prendre les gens sur la base de l'argent, mais sur leur engagement sportif et militant. Pour moi, ce qu'on appelle football professionnel ne l'est pas : les salaires ne sont pas payés, des cotisations sociales ne sont pas versées, alors que la FIFA dit bien que le professionnel est celui qui vit entièrement et intégralement de son salaire. Il doit couvrir tous ses besoins et loisirs à partir de ce qu'il gagne dans le football. Il faut aussi revoir la rémunération des joueurs. Une Ligue professionnelle doit être mise en place par étape. Mais ce que Saer Seck a fait, c'est juste vouloir faire passer Diambars tout de suite sans motivation sportive.

 

 

AMADOU THIAM

 

 

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