Publié le 14 Nov 2018 - 01:56
RECURRENCE DES FAUSSES COUCHES

Le stress d’un rendez-vous raté

 

Angoissante, traumatisante, difficilement surmontable, la fausse couche, considérée comme un évènement normal par les médecins, est vécue comme un échec par les jeunes mariées. D’où la loi du silence, du fait qu’elle affecte une femme sur quatre.

 

Sandra Toupane est une jeune fille de 23 ans qui s’est mariée à un émigré. Après la nuit de noces, elle a contracté une grossesse. Mais elle ignorait qu’elle était enceinte. Jusqu’au jour où elle faisait son linge, un petit matin. ‘’Quand je me suis levée pour aller verser l’eau, ma belle-sœur m’a demandé si je vois mes règles. J’ai répondu par la négative. J’ai constaté que ma robe était couverte de sang. Je ne comprenais rien’’, raconte-t-elle. Sur le coup, elle a commencé à paniquer et à avoir des vertiges.

Elle décide alors, avec sa belle-sœur, d’aller à l’hôpital, puisqu’elles étaient seules dans la maison. Sur le chemin, elle appelle sa mère pour l’en informer. Une fois à l’hôpital, elle apprend à la fois sa grossesse et son avortement. Une double surprise difficile à supporter. Elle s’est mise à pleurer. ‘’J’ai pensé automatiquement à mon mari, parce qu’il devait revenir dans 6 mois. J’étais nerveuse et j’avais peur en même temps. C’est vraiment inexplicable’’, se souvient Mme Toupane. Elle reçut tous les soins nécessaires, surtout le curetage qui, dit-elle, a failli la tuer, du fait de la douleur.

Comme elle, nombreuses sont les Sénégalaises qui ont déjà goûté au fruit amer de l’avortement spontané. Le phénomène est devenu assez large, à l’échelle nationale. Dans sa thèse de diplôme d’Etat soutenue en juillet 2016, le docteur Ibra Diagne, ancien interne en psychiatrie, fait état de 125 avortements recensés en 8 mois en 2012 (mai-décembre) au centre de santé Philippe Maguilène Senghor. Ce même travail révèle qu’il y a un avortement sur 12 à 24 % des grossesses. ‘’Cette estimation ne peut être qu’une approche partielle de la réalité, car certains avortements coïncident avec la date des règles et restent méconnus’’, ajoute le Dr Diagne. Selon ce spécialiste, 50 % en moyenne des motifs d’admission en urgence dans les maternités de référence au Sénégal sont liés aux grossesses arrêtées.

Pourtant, il ne devrait pas y avoir de quoi s’inquiéter. Si l’on en croit le pédopsychiatre français Guillaume du Pain, interrogé au cours d’une rencontre à Dakar, les fausses couches font pleinement partie de la vie procréative d’une femme. Durant le premier trimestre, ces interruptions involontaires de grossesse surviennent chez une femme sur quatre environ dans le monde. Pour les médecins qui y sont confrontés tous les jours, les fausses couches sont banales, voire positives, puisqu’elles veulent dire qu’une sélection naturelle s’opère.

Mais la perception n’est pas la même chez les victimes qui vivent ces instants comme des drames. Une fois que la femme est enceinte, elle commence à mettre des pulls larges au bureau, boire du jus de citron, sucer du tamarin ou des noix de cabas (‘’Maad’’). Bref, toute une petite logistique qui accompagne l’attente d’un évènement heureux. Voir tout ce processus être interrompu brutalement est forcément dur à encaisser.

Madame Toupane en sait quelque chose. Un an après avoir avorté, elle a contracté une seconde grossesse. Et comme si le sort s’acharnait sur cette jeune mariée, elle a fait une seconde fausse couche. Cette dernière a été la plus dure à supporter. Insurmontable ! Là également, non seulement elle a failli y laisser sa vie, mais elle avait perdu tout espoir. ‘’J’ai pensé que je n’allais plus avoir d’enfants. Ce sont des moments durs. Heureusement que j’ai eu le soutien de mon mari et de mes parents. Parce que si tu es seule dans ces moments, tu risques de devenir folle’’, explique-t-elle.

Cette peur, Sandra n’est pas la seule à l’avoir éprouvée. Khady Ndiaye est mère de trois enfants. Après son premier fils, elle a eu toutes les peines pour en avoir un deuxième. Elle a fait trois avortements répétitifs. Ils sont dus à une infection, selon son gynécologue. Après son deuxième avortement, elle a eu peur pour son mariage, car elle ne voulait pas perdre son mari. Avec sa maman, elle est allée voir un tradipraticien. ‘’Ce dernier m’a donné des tisanes que j’ai utilisées pendant des mois. J’ai fait une troisième fausse couche. C’est en ce moment que j’ai décidé d’arrêter les tisanes et d’aller voir un gynécologue. Il a diagnostiqué une infection qu’il a facilement traitée. Aujourd’hui, je suis avec mes trois enfants’’, se remémore-t-elle avec un soulagement manifeste.

Selon elle, les avortements involontaires constituent une véritable préoccupation, surtout chez les nouvelles mariées. ‘’Je ne dormais pas la nuit. Je pensais que j’aurais un seul enfant. Je pleurais et priais le bon Dieu de me donner d’autres enfants. C’est très dur pour une femme. Et pourtant, quand ça arrive, les médecins le banalisent, alors que cela est très angoissant’’, souligne-t-elle.

Ses témoignages confirment les propos du docteur Ibra Diagne dans sa thèse. ‘’Suite à un avortement spontané, soutient-il, pratiquement la moitié des femmes connaitront une souffrance psychologique significative’’. Cette difficulté à surmonter l’épreuve s’explique par l’importance d’un enfant en Afrique et tout ce qu’il symbolise pour la famille en termes de puissance, de relève pour les parents et de continuité de la lignée.  

 

‘’Imaginez-vous 5 avortements pour une femme…’’

Agée aujourd’hui de 63 ans, la vieille Mami Diarra Dieng est mère de 4 enfants. Elle estime que le phénomène est récent. “A notre époque, on ne connaissait pas ce problème. Même si cela arrivait, on se soignait avec des produits traditionnels et on n’avait pas de problème au sein de nos couples”. Pour cette interlocutrice, tous ces problèmes sont les conséquences des produits contraceptifs vendus à tort et à travers. Les fausses couches, selon un gynécologue, peuvent jouer sur l’émotion maternelle et la psychologie de la femme. “Les symptômes possibles sont la perte de fluide, de sang ou de tissu par le vagin et des douleurs au ventre ou des lombaires. Un sentiment de tristesse ou de chagrin est également fréquent. Malheureusement, le processus de fausse couche n’est pas réversible, une fois qu’il est enclenché. Toutefois, des médicaments ou des interventions comme une dilatation du col de l’utérus et un curetage peuvent prévenir certains types de complications”, explique le gynécologue.

Alice Niang est institutrice dans une école aux Parcelles-Assainies. Après 7 ans de mariage, elle vient d’avoir son premier bébé. Il a fallu que le médecin lui fasse un suivi très strict et intense. ‘’Imaginez-vous 5 avortements pour une femme… C’est beaucoup, difficile, stressant et angoissant. A un moment donné, j’ai pensé être victime d’un maraboutage. Mais mon gynécologue est un homme très serein et optimiste. Il a toujours cru que j’aurais un enfant. Le plus difficile, dans le traitement, c’est le curetage. Oh ! Tu ne peux même pas comprendre comme c’est dur’’.

Au fil du temps, Alice Niang a fini par perdre tout espoir. Elle était aussi superstitieuse. Elle se cachait à chaque fois qu’elle contractait une grossesse. ‘’J’étais devenue paranoïaque et très sceptique. Quand on me fixe du regard, je fais des histoires. C’est difficile à expliquer, surtout quand on vit dans la belle-famille’’, se rappelle-t-elle.

Seulement, au Sénégal, il serait difficile, voire impossible d’avoir une idée exacte du nombre de femmes victimes de fausses couches du fait du voile de tabou qui enveloppe le sujet. Une bonne partie des mères préfèrent garder le silence pour diverses raisons.  C’est d’ailleurs la conviction d’Alice, selon qui beaucoup de femmes vivent la même situation, mais ont peur d’en parler. Les avortements répétitifs sont fréquents, dit-elle. Ainsi, elle conseille aux femmes de se faire consulter. ‘’Il ne faut pas attendre le mariage pour voir le gynécologue. Il y a même des femmes mariées qui n’ont pas de gynécologue, ce n’est pas du tout normal. Certaines ne consultent le médecin qu’en cas d’urgence. Il faut côtoyer les médecins de façon générale. Parce que les fausses couches sont causées par beaucoup d’anomalies’’, conseille Mme Niang.

‘’Il faut faire la contraception, après la fausse couche, au moins 6 mois’’

En fait, les causes principales sont des anomalies chromosomiques complexes, explique Paul Châtel, gynécologue obstétricien à Paris. ‘’Je ne dis jamais aux femmes enceintes de ne pas en parler avant trois mois. Je leur conseille au contraire d’en informer les gens auprès de qui elles se sentiront également à l’aise d’annoncer une fausse couche, si elle survient. Souvent, les patientes pensent qu’elles ont perdu un bébé, je leur rappelle que ce n’était pas viable, pas fait pour évoluer. Pour qu’une grossesse suive son cours, il faut qu’un ensemble de choses fonctionnent bien. Donc, je leur explique qu’une fausse couche nous donne également des informations de bon fonctionnement’’.

Si certains gynécologues peuvent détailler et expliquer les choses à leurs patientes, ce n’est pas toujours le cas à l’hôpital. ‘’Faute de temps, il peut leur arriver de banaliser la chose’’, soutient un médecin. Expliquer, notamment, les raisons physiologiques d’une fausse couche aiderait pourtant à mieux dédramatiser l’événement. Car, pour des femmes qui se sont projetées dans leur grossesse, cela peut être un vrai traumatisme.

Pour le docteur Binta Ndiaye, gynécologue obstétricienne, il y a plusieurs causes des fausses couches spontanées. Les anomalies peuvent être liées à la qualité de l’œuf. Tous les œufs ne peuvent pas évoluer. Il y a des anomalies qui arrêtent leur évolution et cela devient une fausse couche. Il y a des causes qui peuvent être liées à la mère, des pathologies générales maternelles, cela peut être le résultat des anomalies du site d’implantation de l’œuf. Ce sont des dysfonctionnements d’origine utérine.

L’avortement, c’est l’interruption de la grossesse avant le cap des 28 semaines pour certains, 22 semaines pour d’autres spécialistes. Pendant tout ce temps, précise le docteur Binta Ndiaye, tout ce qui n’évolue pas en grossesse est une fausse couche. Certaines anomalies comme les infections peuvent causer des avortements. S’il y a une cause qui n’est pas traitée, le risque est que la prochaine grossesse qui suit soit encore un avortement. Pour prévenir, souligne-t-elle, il est indispensable, d’abord, de prendre en charge la fausse couche. ‘’Après une fausse couche, il faut faire la contraception au moins 6 mois, avant de songer à une autre grossesse. Ce temps permettra au médecin d’affiner les recherches pour trouver une cause curable au premier avortement’’, informe le Dr Ndiaye.

Pour toutes ces raisons, souligne le Dr Ndiaye, la consultation prénuptiale s’avère importante. Seulement, regrette-t-elle, au Sénégal, celles qui sont à la porte du mariage n’ont pas cette habitude. ‘’Les jeunes filles ne viennent consulter que lorsqu’elles ont un problème particulier. Il est conseillé, avant de se marier, de faire une visite prénuptiale et, dans ce cas, il y a un certain nombre de bilans qu’on demande. Mais ce n’est pas de routine ici au Sénégal’’, se désole la gynécologue, non sans préciser que les avortements affaiblissent la femme. Ils la rendent vulnérable aux autres maladies. ‘’Une grossesse qui survient immédiatement après un avortement, hémorragique en particulier, constitue une grossesse à risque pour la femme, à cause de l’anémie. La prise en charge est médicale et psychologique. C’est un choc traumatisant. Donc, il faut aider la femme à surmonter, à avoir confiance en elle et l’aider à planifier une autre grossesse’’, préconise le médecin.

VIVIANE DIATTA

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