Publié le 18 Nov 2019 - 22:57
SABRE D’EL HADJ OMAR TALL

Flou artistique autour d’un ‘‘dépôt-restitution’’

 

Malgré le symbolisme et l’euphorie légitime qui ont ponctué la présentation du sabre d’El Hadj Omar Tall, hier, au palais de la République, la restitution intégrale va être un peu plus compliquée qu’il n’y parait.

 

Il y avait tout un aréopage de hautes personnalités, comme il est d’usage, quand c’est la France qui est accueillie au palais de l’avenue Roume. Le président Macky Sall, qui avait dirigé plus tôt un séminaire intergouvernemental avec le Premier ministre français Edouard Philippe, les présidents de toutes les institutions sénégalaises, les deux khalifes généraux, tidjane et omarien, l’élite académique et intellectuelle, et toute les ramifications de la famille omarienne du Niger, du Nigeria, de la Guinée, du Mali... La cause de ce rassemblement est à forte teneur symbolique. Le sabre d’El Hadj Omar Tall, figure tutélaire d’un islam confrérique, résistant à la colonisation française, et intellectuel musulman, a été ‘‘restitué’’ au Sénégal.

Une cérémonie empreinte de solennité pour laquelle la Musique principale des forces armées a salué cette tige de métal de 81 cm dégainé de son fourreau qui repose sur un coussin en velours rouge pour la cérémonie de dépôt du sabre d’El Hadj Omar Tall. Car, en fait d’une restitution du sabre de cet érudit-résistant, c’est plutôt un prêt. Le président sénégalais Macky Sall a d’ailleurs été très précis dans son allocution, en parlant d’une ‘‘convention de dépôt du sabre d’El Hadj Omar Tall, prélude de la restitution définitive’’, a-t-il déclaré, après que les deux ministres de la Culture des deux pays l’ont signée.

Le sabre d’El Hadj Omar Foutiyou Tall, qui porte le numéro inventaire 6995, était conservé au musée de l’armée française. Il a été saisi à Ségou (Mali) par les troupes coloniales - le colonel Louis Archinard (1850-1932) notamment - lors d’un combat en 1890 les opposant au fils d’El Hadj Omar, Ahmadou.

Courage politique

Cette ‘‘restitution’’ du sabre n’échappe pas à la polémique, en France, qui est née de la décision du président français Emmanuel Macron de rapatrier les œuvres d’art africaines qui se trouvent dans les musées français.  En novembre 2017, en visite au Burkina Faso, ce dernier prend un engagement que son prédécesseur François Hollande avait pourtant refusé au président béninois deux ans auparavant, quand Cotonou demandait le rapatriement des statues Abomey : le retour prochain des biens culturels de toutes les anciennes colonies qui le demanderont, rapportés en France durant la période coloniale. Macron joint l’acte à la parole et commande un rapport sur la faisabilité du projet, qui tombera un an plus tard, en novembre 2018, sous la supervision de Bénédicte Savoy, historienne de l’art, et Felwine Sarr, économiste.

Le document s’intitule ‘‘Rapport sur la restitution du patrimoine culturel africain. Vers une nouvelle éthique relationnelle’’ et préconise ‘‘d’accueillir favorablement les demandes de restitutions...’’. Son échéancier a été manifestement respecté, puisqu’il prévoyait une première étape pour les restitutions en novembre 2019. Pour le cas spécifique du Sénégal, ce sabre a été la première inventoriée dans l’ordre de restitution. Mais les autres pièces issues du butin de guerre fait à Ségou conservées au musée du quai Branly-Jacques Chirac, au musée de l’Armée et au Muséum d’histoire naturelle du Havre devaient en faire partie. Le rapport révèle que les autres pièces de même provenance pourraient être restituées ou faire l’objet d’accords de numérisation, en accord avec la famille Tall.

Les rôles historiques pourraient être inversés et la résistance venir de chez Marianne. D’après Didier Rykner du journal en ligne ‘La Tribune de l’Art’, les pouvoirs publics français sont allés plus loin dans leur initiative de restitution, alors que la question n’est pas légalement vidée. Le chef du gouvernement français a-t-il délibérément choisi de passer outre ? ‘‘Le ministère des Armées a rappelé au Premier ministre que la loi n’avait pas changé et que cette restitution était parfaitement illégale. Le ministère de la Culture a également fait valoir la même position. Édouard Philippe a donc décidé de demander que le sabre soit déposé pour cinq ans, un dépôt en réalité parfaitement fictif, puisqu’il va parallèlement expliquer à son interlocuteur, le président du Sénégal, que la France s’engageait dans un processus de restitution. C’est bien d’ailleurs d’une cérémonie de restitution dont il est question dans le communiqué de l’Aps (Ndlr : Agence de presse sénégalaise annonçant la visite de M. Philippe)’’, explique Rykner dans un article publié jeudi dernier à l’annonce de la restitution du sabre.

D’après lui, à l’inauguration du musée des Civilisations noires de Dakar, ‘‘cette arme avait été prêtée, à la demande de l’Élysée, et y était déposée exceptionnellement pour un an, le prêt devant se terminer début décembre’’. Le problème tient au fait que dans son article, cet objet est qualifié d’une ‘‘prise de guerre’’ qui la rend légalement inaliénable et a servi à justifier les fins de non-recevoir que la France opposait aux nombreuses réclamations. Mais dans leur rapport de novembre 2018, Bénédicte Savoy et Felwine Sarr soutiennent que la classification de ces objets en butins de guerre stricto sensu est un exercice difficile, impossible, à la limite.

Le président Macky Sall ne s’y trompe pas, en saluant la décision de son homologue français d’avoir franchi le pas. ‘‘Je tiens à rendre un hommage mérité à Emmanuel Macron. Il fallait du courage pour s’élever au-dessus du tumulte et entreprendre l’exercice délicat de rapatriement du patrimoine africain. Il a eu ce courage’’. Une dimension cathartique que le chef d’Etat a également évoquée après les modalités d’entente qui ont permis le rapatriement de ce sabre. ‘‘Depuis plusieurs décennies, la restitution du patrimoine africain fait l’objet d’intenses et légitimes réclamations, suscitant ressentiment et débats passionnés. Nous voulons inscrire cette restitution dans une autre dynamique, dans un esprit convivial de façon sereine, posée et apaisée. C’est le sens de cette cérémonie’’, a déclaré Macky Sall.

Edouard Philippe : ‘‘Sa place est ici.’’

Malgré ce flou artistique sur dépôt-restitution, le chef du gouvernement français a été moins nuancé que le chef de l’Etat sénégalais, arguant sans ambages que cet accessoire est retourné dans son reposoir d’origine. ‘‘Ce sabre qui nous réunit, est plus prestigieux que celui que je possède. C’est celui d’un conquérant, celui d’un guide spirituel que l’histoire connaît sous le nom d'El Hadj Oumar Tall. Ce sabre, c’est celui du fondateur d’un empire toucouleur qui comprenait la Guinée, le Mali et le Sénégal (...) Sa place est bel et bien ici au cœur de l’ancien empire toucouleur’’, a-t-il déclaré hier.

Mieux, il a réitéré les ambitions du président Macron qui ‘‘a plusieurs fois marqué sa volonté de valoriser le patrimoine africain en Afrique’’. Contrairement aux statues béninoises qui attendent la réception d’un nouveau complexe artistique en 2021 pour leur conservation, en vue d’un éventuel rapatriement, le Sénégal a déjà réglé ce problème. ‘‘Le musée des Civilisations noires y contribuera ici même avec l’aide des musées français, comme le prévoit l’accord qui vient d’être signé par nos ministres’’, a avancé M. Philippe.

Du côté sénégalais d’ailleurs, on ne boude pas son plaisir de récupérer un objet aussi symbolique, d’autant plus que les tentatives de la famille omarienne de faire rapatrier le sabre ont été jusque-là nombreuses et vaines.

OUSMANE LAYE DIOP

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