Publié le 16 Dec 2020 - 00:26
SUPPRESSION DU STATUT VILLE DE DAKAR

La question divise

 

Faut-il supprimer le statut de ville de Dakar. Le ministre en charge des Collectivités territoriales, Oumar Guèye, a défendu, ce dimanche, l’idée qui provoque une réaction en chaine. Experts et politiciens se prononcent et argumentent sur le sujet.

 

La réforme des collectivités territoriales est un chantier sans fin, au Sénégal. Aujourd’hui, l’Acte 3 de la décentralisation peine à prendre en charge le développement des collectivités dont les dirigeants soulignent souvent des déficits de ressources financières. Le gouvernement, dans une quête d’efficience, engage constamment des ajustements dont les visées font parfois débats et polémiques. C’est le cas actuellement avec le projet de supprimer la ville Dakar en tant que collectivité territoriale.

Thierno Bocoum estime que les arguments avancés par le porte-parole du gouvernement sont inopérants. Même d’un point de vue juridique, le président du mouvement Agir considère que le ministre a tout faux. Lorsqu’Oumar Guèye déclare : ‘’La ville n’a pas sa raison d’être. On ne peut être en même temps département et commune. Aujourd’hui, nous devons nous conformer au code. C'est-à -dire, l’existence de deux entités que sont le département et la commune’’, Bocoum le renvoie aux texte. ‘’Effectivement, précise-t-il, le Code général des collectivités locales, en son article 1er dispose : ‘Dans le respect de l’unité nationale et de l’intégrité du territoire, les collectivités locales de la République sont le département et la commune’’. En clair, soutient-il, la ville n’est pas nommément désignée comme une collectivité locale dans l’article 1er. ‘’Cependant, fait observer Bocoum, elle en a le titre. L’article 167 dernier alinéa du Code général des collectivités locales est sans équivoque : ‘La Ville a le statut de commune’’.

Ainsi, conclut le jeune leader : ‘’Les choses sont simples : la commune étant une collectivité locale (art 1er CGCL), la ville ayant le statut de commune (art 167 CGCL), est par conséquent une collectivité locale. Il s’y ajoute que nullement, il a été établi dans le CGCL que la Ville est un département. Elle a plutôt le statut de commune comme précisé ci-haut. C’est juste à titre dérogatoire que les attributions dévolues au Conseil départemental par le CGCL sont exercées, le cas échéant, par la Ville si son périmètre correspond au territoire du département (article 28 CGCL)’’.

Ancien coordonnateur de l’Association des maires du Sénégal, Amadou Tidiane Wane lui se dit étonné : ‘’Je suis très surpris d’entendre le ministre Oumar Guèye parler ainsi. Il ne faut pas oublier qu’il était le président du Conseil rural de Sangalkam. Je suis étonné que quelqu’un, qui connait aussi bien les textes et les bienfaits de la décentralisation, puisse défendre une telle proposition. Je pense que c’est quelqu’un qui est suffisamment outillé pour dire à Macky Sall qu’on ne peut le faire, parce que ceci, parce que cela.’’

A propos des arguments avancés par le ministre en charge des Collectivités territoriales, l’ancien maire de Kanel estime qu’ils sont tirés par les cheveux. ‘’Comme on dit : tout ce qui se conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément. A ce que je vois, les gens n’arrivent pas à nous montrer pourquoi ils veulent détruire la ville. Ils parlent de ‘département de Dakar, ville de Dakar...’ Pourquoi pas département de Kanel, ville de Kanel ? Pourquoi pas département de Bignona, ville de Bignona ? Cela n’a pas de sens. Il faut qu’ils fassent attention. Ce sont des arguments éculés’’.

Ndiaga Sylla et les incongruités de l’Acte 3 de la décentralisation

Cela dit, l’idée de faire disparaitre les villes en tant que collectivités territoriales n’est pas contestée de tous. La sortie du ministre Oumar Guèye a été un bon prétexte pour l’expert électoral et non moins ingénieur en gestion du développement urbain, Ndiaga Sylla, de revenir sur les incongruités de l’acte 3.  Il déclare : ‘’Avec l'Acte 3 de la décentralisation, l'on a voulu confondre la ville à une communauté urbaine, tout en lui conférant un statut de commune. Or, l'existence de communes de plein exercice et l'absence de tutelle entre les collectivités territoriales rendent absurde une telle option.’’ 

En vérité, souligne le spécialiste, c’est le combat qui a été initié, en 2014, contre la réforme du mode de scrutin, ainsi que la pression exercée par certaines collectivités qui avaient poussé le gouvernement à différer la suppression de la ville. Selon lui, cette dernière devrait logiquement devenir un établissement d'intercommunalité. Par ailleurs, relève M. Sylla, si tant est que l’objectif est de corriger les failles de la décentralisation, le gouvernement ne devrait pas se limiter à cet aspect. ‘’Il y a, dit-il, une impérieuse nécessité d'aller vers le regroupement et la fusion de plusieurs communes, en vue d'ériger des entités viables et compétitives, telles que prônées par la réforme de la décentralisation’’.

Ainsi, suggère-t-il, il y a le cas du département qu’il faudrait revoir. ‘’Le département ne semble pas constituer un échelon adéquat pour la planification du développement local, d'où la pertinence de retenir la région en tant qu’échelon intermédiaire, avec les pôles territoriaux. Il faut savoir conduire les réformes en toute rigueur, en s'extirpant des logiques de calculs politiciens...’’.

A ce sujet, l’expert est sur la même longueur d’onde que l’ancien coordonnateur de l’Association des maires du Sénégal. Amadou Tidiane Wane : ‘’C’est un paradoxe. Le département est petit et il est grand. Petit par rapport à la région, mais grand par rapport à une commune. Quand on veut mener une véritable politique, le département est trop petit. Je donne en exemple l’érection d’une route. Dans un département, ça ne va pas loin. Mais dans une région, surtout quand il n’y en a que cinq, comme on a eu à le proposer, ça va beaucoup plus loin. Il en est de même pour les politiques culturelles, agricoles, industrielles…’’

Selon l’ancien maire de Kanel, Macky Sall est en train de remettre en cause toutes les réformes qui ont été faites par Senghor, Diouf, acceptées par Wade sur la décentralisation. Il urge, selon lui, de retourner en arrière, car l’Acte 3 a montré ses limites. ‘’La politique de la décentralisation, c’est autre chose que ce qu’ils sont en train de faire. C’est développer les territoires, freiner l’exode rural, décongestionner Dakar et les grandes villes, faire en sorte que les ruraux restent chez eux… Au lieu de s’atteler à résoudre ces questions, on se contente de raisonnements politiciens’’.

Il ajoute : ‘’Il faut se demander pourquoi les gens préfèrent quitter leurs terroirs pour aller dans les grandes villes ? D’abord, c’est l’emploi ; ensuite, ils cherchent la santé ; après, il y a l’éducation et, accessoirement, les loisirs. Quand on peut trouver tout ça en dehors des grandes villes, les gens n’auront plus besoin de venir à Dakar. C’est ça la décentralisation. La politique de décentralisation est indispensable. Il faut absolument fixer les gens chez eux.’’

Dakar en ligne de mire ?

Depuis l’annonce de cette idée longtemps en gestation dans les officines du palais, certains n’ont pas manqué d’invoquer une volonté de démanteler le pouvoir de ‘’l’homme fort de Dakar’’ Khalifa Ababacar Sall. Pour Ibrahima Sène, responsable au Parti de l’indépendance et du travail (PIT), c’est de fausses accusations. Il peste : ‘’La suppression des villes de Pikine, de Rufisque (sic) et de Guédiawaye, contrôlées par BBY, et celle de Thiès par Rewmi, devrait convaincre tout un chacun du caractère non politicien de cette suppression.’’

Selon lui, la suppression de la ville de Dakar n’enlève en rien le poids politique de Khalifa Sall, si tant est qu’il contrôle toujours la majorité des communes de Dakar. Ainsi, estime-t-il, c’est tout à fait juste de restaurer à Dakar le Conseil départemental, conformément aux prescriptions de l’article 28 du Code général des collectivités locales.

Au ministre Oumar Guèye qui invoquait, lui aussi, le contrôle, par la majorité, de certaines villes, l’ancien coordonnateur de l’AMS, Amadou Tidiane Wane, rétorque ceci : ‘’C’est vrai que la majorité contrôle des villes. Mais ce que le ministre ne mentionne pas, c’est que Macky ne veut plus de majorité ; il veut l’unanimité. Il veut tout. Qu’il sache que de l’unanimité naquit la nuit, comme dirait l’autre.’’

°Malick Ba a été tué en mai 2011 à Sangalkam, lors d’une manifestation contre le projet de mettre la collectivité sous délégation spéciale.

Ce que dit le Code des collectivités locales

Oumar Guèye a-t-il raison ? Selon le ministre, les villes n’ont pas leur raison d’être dans l’architecture actuelle de la décentralisation au Sénégal. ‘’Si l’on se tient au code, il doit y avoir un département de Dakar et ses 19 communes. La ville n’a pas sa raison d’être. On ne peut être en même temps département et commune. Aujourd’hui, nous devons nous conformer au code, c’est-à-dire l’existence de deux entités que sont le département et la commune’’.

Pour étayer son propos, le ministre invoque l’article 1er de la loi portant CGCL qui dispose : ‘’Dans le respect de l’unité nationale et de l’intégrité du territoire, les collectivités locales de la République sont le département et la commune. Les collectivités locales sont dotées de la personnalité morale et de l’autonomie financière. Elles s’administrent librement par des conseils élus au suffrage universel.’’

Mais il s’agit là d’une lecture parcellaire du code qui a dédié tout un chapitre aux villes. Aux termes de l’article 167 al 1er : ‘’Une ville peut être instituée, par décret, pour mutualiser les compétences de plusieurs communes qui présentent une homogénéité territoriale.’’ Il résulte des alinéas suivants que ‘’ce décret détermine le nom de la ville, en situe le chef-lieu et en fixe les limites qui sont celles des communes constitutives. Les compétences de la ville, ses ressources financières et ses rapports avec les communes qui la constituent sont déterminés par le présent chapitre’’. Mieux, la même disposition, en son dernier alinéa, prévoit : ‘’La ville a le statut de commune.’’ 

Dans notre édition du lundi, le directeur de cabinet adjoint du maire de Dakar précisait que ce texte a été complété par le décret 2014-830 qui confère aux villes concernées leur statut.

De façon nette, claire et précise, les articles suivants parlent des ‘’compétences de la ville’’ (section 2) ; des ‘’finances de la ville’’ (section 3) et enfin des ‘’relations entre les villes et les communes’’ (section 4).

MOR AMAR

 

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