Les Turcs par qui les scandales arrivent

Après la tempête fiscale et juridique, les entreprises turques peuvent s’estimer heureuses du réchauffement diplomatique qui les repositionne au centre du business à Dakar, dans les secteurs clés de la défense, de l’économie, de l’énergie…
Exit les procédures contre des entreprises turques et les menaces sur les intérêts turcs au Sénégal. Reçu avec tous les honneurs en Turquie, hier, par le président de la République Erdogan lui-même, le Premier ministre Ousmane Sonko n’a pas du tout évoqué - du moins en public - les sujets qui fâchent : délinquance fiscale du constructeur turc Summa ; concession nébuleuse de la gestion de l’aéroport international Blaise Diagne de Diass, conditions opaques de construction du stade Abdoulaye Wade, du Centre international de conférences Abdou Diouf de Diamniadio… La liste des dossiers scabreux à élucider est loin d’être exhaustive.
Opposant, Ousmane Sonko ne manquait pourtant pas de s’étonner de l’avancée fulgurante des Turcs, ces dernières années, grâce ou à cause de l’ancien président Macky Sall.
Mais aujourd’hui, c’est une nouvelle page qui s’ouvre sur l’axe Dakar - Ankara, avec la signature de plusieurs accords importants. Il s’agit principalement de l’accord portant coopération financière et militaire, avec la signature d’un protocole additionnel entre les ministres de la Défense des deux pays ; l’accord relatif à la coproduction et à la coopération dans les secteurs cinématographique, audiovisuel et multimédia ; d’un accord sur l’enseignement supérieur, avec un protocole d’accord pour la période 2025‑2028 et enfin de la mise en place du Conseil de coopération stratégique de haut niveau comme cadre institutionnel devant veiller sur une bonne mise en œuvre du partenariat.
Défense, mines, énergies… : les nouvelles ambitions d’Erdogan à Dakar
Accueillant chaleureusement le Premier ministre sénégalais, le président turc a magnifié les rapports entre les deux pays. "Avec cette visite, nous avons élevé nos relations au niveau de partenariat stratégique avec la création du Conseil de coopération stratégique de haut niveau”, s’est-il félicité. Les deux pays ont discuté des possibilités de coopération dans les domaines de la sécurité, de l'industrie de la défense, de la lutte contre le terrorisme, de l'énergie, des mines, des transports, de l'agriculture et de la pêche, en particulier dans les domaines de l'investissement et du commerce.
Le président Erdogan ne compte pas s’en limiter là. "Nous voulons porter le volume de nos échanges à un milliard de dollars dans un premier temps. Près de cent de nos entreprises opèrent au Sénégal. La valeur totale des investissements et des projets contractuels entrepris par nos entreprises au Sénégal a approché les trois milliards de dollars”, affirme-t-il, non sans rappeler que les entreprises turques ont mené à bien de nombreux projets pour contribuer aux objectifs de développement du Sénégal.
"Nous sommes prêts à partager l'expérience de nos entreprises avec nos amis sénégalais, dans le cadre du Programme national de transformation Sénégal 2050. En tant que secteur public, nous sommes également ouverts au transfert de connaissances et d'expériences par le biais de nos organisations d'expertise. Je voudrais saisir cette occasion pour féliciter M. Faye et mon frère Sonko pour leur gestion réussie de l'économie. J'espère que le Sénégal atteindra des taux de croissance à deux chiffres cette année”, souligne le président turc.
Au-delà de la réalisation d’infrastructures et de projets énergétiques, le Sénégal compte beaucoup sur la Turquie dans ses efforts pour lutter contre l’insécurité. Le président turc s’en réjouit : il s’est montré “heureux de l'intérêt croissant des Africains pour les produits de défense turcs”.
Quand Sonko accusait Erdogan d’armer Macky Sall
Il faut rappeler que la coopération entre les deux pays ne date pas d’aujourd’hui, en matière de sécurité et de défense. D’ailleurs, dans l’opposition, Sonko n’hésitait pas à sommer le président turc de cesser d’armer le régime de Macky Sall. “Je voudrais, fulminait-il au plus fort de la crise, lancer un appel à un pays nouvellement ami depuis l’arrivée de Macky Sall qu’est la Turquie, puisque l’essentiel du dispositif de répression, actuellement au Sénégal, engins roulants lourds, grenades lacrymogènes… L’essentiel de ce matériel provient de ce pays. Je voudrais inviter le président Erdogan à cesser tout approvisionnement en matériels similaires, jusqu’à ce que le pays finisse de traverser cette zone de turbulence. Autrement, il se serait constitué complice des agissements du président Macky Sall”, accusait-il avec force.
Le sort des dossiers qui fâchent
Nous sommes donc bien loin de cette époque. L’heure est plutôt au réchauffement diplomatique entre les deux pays. Comme sous Macky Sall, la Turquie continue d’être un partenaire très privilégié. La grande question, c’est quel sort le régime compte réserver aux contentieux. Parmi ces contentieux en attente, il y a l’affaire de fraude fiscale portant sur une vingtaine de milliards et opposant le champion turc Summa à la Direction générale des Impôts et des Domaines.
Prompt à brandir des milliards recouvrés, le régime n’a jamais élucidé la lanterne sur l’épilogue de ce dossier.
L’autre grand contentieux, c’est la concession de la gestion de l’aéroport au consortium Limak-Summa. Il y a quelques mois, le ministre chargé des Transports aériens annonçait des renégociations, avec l’arrivée à terme du contrat. “Lorsque vous avez un aéroport international qui s’appelle Blaise Diagne (AIBD) et que vous avez une structure qui s’appelle AIBD, qui gère tous les aéroports du Sénégal, sauf l’aéroport qui porte son nom, admettez que c’est un vrai paradoxe. Aujourd’hui, fort heureusement, le contrat avec les Turcs est à échéance. Comme pour le TER, nous allons le renégocier”.
Dans un contexte marqué par le lancement tous azimuts des audits, les Sénégalais attendent la lumière non seulement sur ces dossiers, mais aussi sur tous les autres dossiers qui avaient éclaté sous Sall.
Par Mor Amar