Publié le 12 Jun 2021 - 00:24
CHRONIQUE PAR PHILIPPE D’ALMEIDA

A la rescousse des ménages

 

La crise sanitaire dont le monde s’affranchit peu à peu, aura considérablement affecté les économies. Au Sénégal, les marchés sortent groggy de cet épisode. Pour se requinquer, leurs acteurs ont cru devoir s’arroger la liberté d’exercer les prix à leur convenance, comme si le navire Sénégal naviguait sans gouvernail. Les denrées de première nécessité ont été ainsi prises dans la valse des prix capricieux et arbitraires fixés par producteurs, commerçants-grossistes ou revendeurs au détail, agissant au plus grand mépris de la fragilité des ménages qui subissent, pourtant comme eux, les mêmes effets de la même cause.

S’extirpant du laxisme auquel il nous avait habitués sur ces questions, notamment sur les prix du logement, le gouvernement du Sénégal a pris le taureau par les cornes, lors du Conseil des ministres du 9 juin dernier, en portant un intérêt nouveau sur la cruciale question de la régularisation des marchés des denrées et produits de première nécessité.

Ces produits essentiels à la subsistance du Sénégalais ordinaire, connaissent, depuis un certain temps, une flambée au registre de leurs prix. Riz, mil, Sorgho, huile, oignon, sucre, pomme de terre, pour ne citer que ceux-là, voient leurs prix varier selon les commerçants et en dehors de tout paramètre rationnel si ce n’est celui de combler au plus vite et de la façon la plus boulimique le manque à gagner des difficiles saisons de 2020 vécues dans un pays anesthésié par la crise.

Sur son compte Facebook, Macky Sall souligne la question et instruit les ministères concernés à une action énergique.

Pourtant, au mois de mars dernier, les prix des produits de consommation avaient officiellement baissé de 0,5 %, en comparaison du mois précédent. Cette tendance baissière n’a pas jusqu’ici été démentie, ni inversée, ce qui rend encore plus injustifiables les caprices peu honnêtes des marchés.

La réalité est que les scrupules, au fil des convulsions économiques, se sont affranchies des règles et codes qui régissent le fonctionnement social ; une logique du sauve-qui-peut s’est progressivement installé au fur et à mesure des retraites de la puissance publique ou de ses errements. Ce sauve-qui-peut, d’abord social, a envahi le champ des échanges économiques et menace désormais fortement l’ensemble de la structure sociétale.

C’est donc plutôt une bonne chose que le gouvernement ait pris le soin de rappeler, par son intervention ferme, la présence de l’Etat, la permanence d’une force souveraine qui se situe au-dessus de toutes les autres et dont la vocation est de réglementer le contrat social.

Ce contrat social ne peut occulter, sans encourir un péril certain, les 57,5 % de ménages ruraux pauvres du Sénégal et le ménage sur trois qui, en zone urbaine, croupit dans la pauvreté. On ne parlera pas spécifiquement de Dakar qui abrite plus du quart des ménages du pays (25,9 %) et qui compte 17,8 % des pauvres… L’incidence de la pauvreté individuelle au Sénégal, faut-il le rappeler, tourne autour de 38 % de pauvres depuis 2019.

Dans un tel contexte, l’Etat se doit d’être toujours fort et marquer une vigilance sans faille quant aux prix des denrées et produits indispensables à la vie de tous ceux dont la réalité économique ne permet aucun écart. Ils sont la majorité et subissent, de façon récurrente, la dictature de ceux qui leur fournissent les vivres indispensables que leur portefeuille peine, trop souvent, à assurer.

Il est utile de rappeler que dans ce pays, le riz importé est quotidiennement consommé par la grande majorité des ménages urbains, notamment ceux de Dakar et Touba, tandis que Saint-Louis et sa région absorbent la production du riz de la vallée du fleuve Sénégal.

Le pays dépend plus des importations à partir du marché international, surtout le riz, que du commerce transfrontalier qui concerne essentiellement le bétail provenant du Mali et de la Mauritanie pour approvisionner Dakar et les marchés environnants. Mais même le prix du bétail a, ces derniers mois, connu une augmentation sensible et mis en péril la consommation.

Il faut ouvrir les yeux sur ces dysfonctionnements et frapper, d’un poing fort, sur la table du désordre ; c’est cette même table qui, au demeurant, réuni, au terme de chaque mois et dans la plus grande impunité, les acteurs de l’immobilier qui viennent s’y égailler des recettes de leurs loyers abusifs sur des locataires qui n’ont souvent pas le choix et qui se dépouillent de leurs salaires insignifiants pour ne pas être à la rue. Des lois existent, qui réglementent le secteur, mais elles ne sont jamais appliquées ; alors que bailleurs de toutes factures opèrent en toute arrogance, au nez et à la barbe d’un droit muet, abus et mépris.

Là aussi, il serait bien que l’Etat se porte à la rescousse de tous ceux qui, faute de voix, se taisent.

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