“DKR Périphéries’’ expose la ville et ses contours
Une trentaine de jeunes Sénégalais, Congolais et Gabonais se sont emparés du réel pour parler de la ville et ses contours. Ils ont produit une exposition documentaire transmédia (photo-vidéo-texte) intitulée "DKR Périphéries". Cette exposition s'inscrit dans le cadre de la restitution de deux masterclass ; l'une portée sur l'écriture documentaire transmédia, l'autre sur l'écriture slam et expression scénique portée par Nuit noire production et Africulturban. Elle se déroule au Consortium Jeunesse Sénégal à Guédiawaye.
‘’Il y a des femmes qui n’aiment pas qu’on leur tienne la main dans la rue, parce qu’elles ont honte. J’avais une ex, on s’aimait beaucoup, mais à chaque fois qu’on était à l’extérieur et que je lui prenais la main, elle me disait : ‘Des gens sont là, fais attention.’ Moi, la seule chose qui me dérange, c’est de s’embrasser dans la rue. Jusque-là, je n’ai pas encore eu ce courage. Et puis, je n’aime pas ça. Pour moi, cela fait partie de l’intimité’’. Ce témoignage d’un certain Abdou, marié et habitant Keur Massar, est extrait du projet transmédia ‘’Doxan(tu)’’. En partant à la recherche des intimités possibles dans la ville, ‘’Doxan(tu)’’ tente de penser l’intimité à travers le couple, mais aussi en tant qu’espace pour soi et pour les autres, que cela soit dans la sphère publique ou privée.
Ce documentaire a été réalisé par Fatoumata Ndiaye, dans le cadre l’exposition ‘’DKR Périphéries’’. Celle-ci se déroule au Consortium Jeunesse Sénégal à Guédiawaye. Elle présente dix créations issues de la première édition de la masterclass documentaire transmédia donnée par Nuit noire production, en partenariat avec Africulturban.
En effet, au cours d’un mois de masterclass, de jeunes artistes sénégalais, congolais et gabonais se sont emparés du réel pour parler de la ville et de ses contours. En explorant les territoires qui bordent et façonnent Dakar, capitale du Sénégal, de près de quatre millions d’habitants, ils ont choisi de se faire l’écho intime des réalités sociales, environnementales et politiques de l’une des plus grandes villes d’Afrique de l’Ouest et de ceux qui y vivent. Des inondations et défaillances des aménagements urbains ; des marchands ambulants à la place des piétons, en passant par le déboisement progressif et intensif du littoral, l’accumulation des déchets ou encore la saturation des cimetières, chacun propose un regard singulier sur la ville et ses multiples périphéries.
Parmi ces dix créations, au-delà de ce qu’a proposé Fatoumata Ndiaye, il y a Birane Diagne qui a posé son regard sur les filaos. Il a donc parlé de la question du déboisement littoral à Dakar et plus précisément à Guédiawaye, pour de nouveaux aménagements. Il s’interroge sur ce paradoxe entre les besoins urbanistiques, mais aussi la spéculation immobilière et la dégradation environnementale. Alors que depuis 1948, près de 10 000 ha de filaos ont été plantés sur le littoral sénégalais pour faire face à l’érosion côtière, l’on assiste aujourd’hui à un déclassement progressif de ces mêmes forêts, au profit de la bétonisation des sols pour de nouveaux aménagements et développements immobiliers. Il y a 7,5 km de terres qui vont être déboisées à la cité Gadaye de Malika.
De son côté, Ibrahima Diop a évoqué la question de l’accumulation des déchets à Dakar, et comment la production des déchets par les industries conduit à cette accumulation et comment l’absence des services de collecte de déchets contraint les gens à rejeter leurs déchets sur les plages ou dans la rue. Cela montre que ce n’est pas seulement un manque de civisme, mais qu’il y a aussi un manque d’aménagement structurel.
‘’Chaque année, 2,8 millions de tonnes de déchets solides sont produites au Sénégal. Si une partie de ces déchets atteint la décharge de Mbeubeuss, près de la moitié ne sera jamais collectée, faute d’accès au service de ramassage des ordures. Ils seront alors déversés sur la plage ou les décharges improvisées entourant villes et villages du pays’’, renseigne-t-il.
Pour sa part, Coumba Diouf a parlé de la saturation des villes. Elle s’est intéressée aux cimetières. Le manque d’espace pour l’aménagement de nouveaux cimetières témoigne de cette saturation que l’on retrouve dans les villes.
Accompagnement au cas par cas
Revenant sur l’organisation de cette exposition, Pierre Vanneste de Nuit noire production explique que les jeunes artistes ont eux-mêmes choisi leur propre sujet. ‘’Pour nous, l’important, c’était que la masterclass ne soit pas comme les autres où l’on impose les sujets aux jeunes. On voulait qu’ils réfléchissent à travers les questions qu’ils se posent eux-mêmes sur la ville de Dakar et sur le pays dans lequel ils résident, le Sénégal’’, explique-t-il. Après cela, les formateurs ont assisté les jeunes d’un point de vue technique pour le texte, la photo et la vidéo. Le coaching s’est fait au cas par cas. Coéquipière de Pierre Vanneste, Laurence Grun de préciser : ‘’Chaque élève avait un accompagnement qui était adapté à son projet et on allait même avec eux sur le terrain, s’ils avaient besoin d’aide.’’
‘’D’ailleurs, l’une des difficultés qu’on a rencontrées le plus chez les participants, c’était le fait d’accorder de l’intérêt à l’autre. C’est quelque chose qui s’apprend. Ce n’est pas si évident de se dire : ‘Je vais aller rencontrer telle personne, parce qu’elle a vécu telle réalité, et après à combiner avec d’autres contes et multiplier les rencontres. C’était vraiment un challenge. Mais ils l’ont bien relevé’’, poursuit-elle.
La production commune a donné lieu à un ciné-concert qui reprenait les créations vidéo de la masterclass documentaire transmédia sur lequel les participants de la master-slam déclamaient leurs textes. Ça faisait résonner ces formes d’écritures-là qui sont riches en contenu.
En outre, Laurence Grun annonce que cette masterclass sera reconduite. ‘’Ici, c’était une version pilote ; elle n’a duré qu’un mois. Mais, à la base, le projet doit durer trois mois, donc comprenant la postproduction. L’année prochaine, on espère pouvoir tenir la première édition complète de la masterclass qui durera trois mois’’, dit-elle.
Pierre est photographe-réalisateur et Laurence est auteure-réalisatrice. Ils font eux-mêmes des projets transmédia ici au Sénégal et ailleurs dans monde. Ils travaillent depuis plusieurs années au Sénégal où ils collaborent régulièrement avec Africulturban sur de petits ateliers d’une semaine en photo, vidéo. Ils ont même réalisé quelques clips avec Africulturban.
BABACAR SY SEYE