Publié le 16 Mar 2023 - 14:39
OUSMANE SONKO EMPÊCHÉ DE SORTIR DE CHEZ LUI

Le blocus de Keur Gorgui !

 

Une journée presque morte. D’habitude très animée, la cité Keur Gorgui, en plein cœur de Dakar, ressemblait, hier, plus à un camp militaire qu’à un centre d’affaires ou quartier résidentiel.

 

Rond-point cité Keur Gorgui. Il  est presque 15 h. Deux véhicules anti-émeutes de la police, ‘’Dekhelé’’ et ‘’Daabi’’, sont positionnés juste à l’entrée de la rue principale qui mène chez le président de Pastef/Les patriotes Ousmane Sonko, devant des barrières qui ferment entièrement la voie. Ici, quelques rares individus sont autorisés à passer, après une rude interrogation. "L'accès est interdit", nous dit gentiment un agent, après la présentation de notre carte de presse, non sans nous demander de faire le tour. Seulement, sur toutes les voies menant chez le leader politique, le dispositif est presque identique. Des barrières et quelques agents qui filtrent les rares entrées. Après moult tentatives, on abat la dernière carte, en prétextant qu’on doit regagner notre bureau. Cette fois, l’agent ouvre les barrières et daigne nous laisser passer.

Un peu plus loin, vers la sortie qui mène au collège Sacré-Cœur, c’est un autre dispositif. Tout aussi impressionnant. Avec des gendarmes et des policiers encagoulés, armés jusqu’aux dents. Sur la petite ruelle qui mène directement chez Sonko, une fourgonnette estampillée ‘’BIP’’ est positionnée. Tout autour, il y a des éléments du GMI et quelques membres des corps d’élite. Ici, c’est infranchissable. Il n’y a ni entrée ni sortie. Seuls les va-et-vient des agents en tenue campent le décor. Avec quelques individus qui ont bravé les obstacles pour aller travailler. La plupart ayant déserté les bureaux. Ce qui se fait surtout ressentir au niveau des restaurants de la place.

Les restaurants, principales victimes

Trouvé à l’intérieur de son fast-food vide, Patrick Ekombolo attend son premier client. ‘’Comme vous le voyez, il n’y a personne. Moi, je suis de l’équipe du soir, je viens donc d’arriver. Je serai là jusqu’à minuit, si la situation ne dégénère pas’’.

En fait, la veille, il y avait quelques tensions et ils ont été contraints de fermer dès 22 h 30. Pour le caissier, c’est un manque à gagner énorme. ‘’Nous sommes dans un milieu où une bonne partie de notre clientèle, ce sont les employés des sociétés. Quand il y a des risques de troubles, la plupart ne viennent même pas. Hier, on a été obligé de fermer à 22 h 30. Aujourd’hui, on est presque à l’arrêt et c’est fort probable que demain aussi ce sera pareil. Vous vous en rendez compte, c’est difficile, mais qu’est-ce qu’on peut y faire ? On fait avec tout simplement, priant que ça va bientôt se terminer’’, constate-t-il, stoïque.

En face, la Brioche dorée ne se porte guère mieux. Là également, deux seuls clients sont en train de savourer tranquillement. Dramé vient des Parcelles-Assainies. Il est arrivé très tôt à bord de son scooter qu’il a été contraint de garer plus loin pour avoir le droit d’accéder au restaurant. Venu pour manifester sa colère contre ce qu’il considère comme une violation des libertés, il va devoir se contenter d’avoir réussi la prouesse d’arriver jusque dans cette rue, de se glisser tranquillement à l’intérieur de la Brioche dorée et de prendre son hamburger.

Lacoste gris sur un jean noir, il revient sur son périple : ‘’Ce n’était pas évident de venir ici ; il y a eu trop d’obstacles. Je leur ai dit que je suis venu pour prendre mon déjeuner au niveau du restaurant, c’est pourquoi ils m’ont laissé entrer en me demandant de laisser mon scooter au niveau des barrières. Nous sommes vraiment dans une dictature. Les gens ne peuvent même plus vaquer librement à leurs occupations.’’

Convaincu que le régime actuel veut empêcher Ousmane Sonko de se présenter à la prochaine Présidentielle, il invite les démocrates à se mobiliser pour dire non à ce qu’il considère comme une forfaiture. ‘’Moi, je suis apolitique. Je n’ai jamais fait de la politique, mais ce qui se passe est inadmissible. Nous avons quand même le droit de manifester, c’est un droit constitutionnel. Au nom de quoi les forces de l’ordre veulent empêcher Ousmane Sonko de sortir de chez lui ? Sans aucune base légale’’, s’emporte-t-il.

À la question de savoir pourquoi ils ne peuvent pas tout simplement laisser la justice trancher ce litige entre deux citoyens, voici sa réponse : ‘’Si on avait une justice digne de ce nom, tout ceci ne se produirait pas. Malheureusement, tout le monde sait qu’il n’y a pas de justice équitable dans ce pays. On a vu ce qui s’est passé auparavant. Ceci n’est que le dossier de trop.’’

Debout aux côtés du jeune manifestant, un employé du restaurant constate les dégâts. ‘’Comme vous le voyez, les gens ne sont pas venus aujourd’hui. D’habitude, à cette heure, on connait un rush. Mais aujourd’hui, il n’y a presque personne’’, témoigne-t-il, non sans préciser : ‘’En temps normal, on peut faire jusqu’à 150 clients. Mais quand il y a des troubles, on fait à peine 20, 25 clients.’’

‘’Ousmane Sonko est en résidence surveillée sans base légale’’

Arrivé au rond-point sur les lieux vers les coups de 18 h, le député Birame Souleye Diop, président du groupe parlementaire Yewwi Askan Wi, n’a pu accéder au domicile de son leader. Après quelques échanges avec les agents, il se résolut à rebrousser chemin, pour rejoindre ses collègues au niveau du Samu, vers la sortir de la cité Keur Gorgui. Interpellé, il peste : ‘’La situation est simple. Ousmane Sonko est en résidence surveillée, sans aucune base légale. On interdit à tout le monde d’aller le voir, même nous les députés, nous ne pouvons pas le voir pour voir comment il va. C’est inadmissible. Ousmane Sonko est un citoyen sénégalais, il n’y a aucune sanction contre lui. Ils ont pris d’autorité la mesure d’interdire tout accès à son domicile. Si ce n’est pas une dictature, je ne sais pas ce que c’est.’’

À ceux qui tentent d’expliquer ce blocus par une volonté de protéger le leader de Pastef, il rétorque : ‘’C’est un mensonge absolu de vouloir dire que c’est pour le protéger qu’on ne le laisse pas sortir de chez lui ou même recevoir des visites. Ceux qui veulent aller le voir, ce ne sont pas les nervis de Macky Sall, ce sont ses amis et ses sympathisants. Il faut que Macky Sall arrête.’’

Quelques heurts timides enregistrés

Si, à l’intérieur de la cité Keur Gorgui, la situation est presque totalement sous contrôle, quelques actions d’éclat sont notées dans les alentours. Tantôt vers le pont de la VDN à hauteur de l’immeuble Mariama. Tantôt vers le rond-point boulangerie Jaune. De jeunes manifestants venant par moments brûler des pneus sur les deux voies de Sacré-Cœur, avant d’être vite dispersés à coups de grenades lacrymogènes, pour permettre aux véhicules de circuler. La plupart se réclament militants ou simples sympathisants de Pastef/Les patriotes.

D’ailleurs, certains se sont interrogés sur l’absence des leaders. ‘’C’est très déplorable de ne pas les voir. Hier (au meeting de l’Acapes avant-hier), ils étaient tous venus faire leur show. Aujourd’hui, ils brillent par leur absence. Où sont les Barthélemy Dias, les Déthié Fall, les Khalifa Sall ? Pourquoi doivent-ils toujours attendre la sortie de Sonko ? Est-ce à lui seul de se sacrifier ? Ils auraient pu manifester dans leurs quartiers’’, dénonce Pascaline Diatta, venue des Almadies pour manifester sa colère.  

Quand Sonko n’est pas là, les leaders se terrent chez eux

Trouvée à l’intérieur du Samu, la jeune Adama Gaye a les habits et le corps recouverts de sable. Elle est tombée en essayant de se sauver des tirs de grenades lacrymogènes. Elle revient sur sa mésaventure : ‘’Ces gens (les forces de l’ordre) sont sans âme. C’est comme s’ils n’ont pas de maman. J’étais blessée, au lieu d’essayer de me porter secours, ils ont voulu m’humilier. Nous, nous sommes là pour lutter contre le troisième mandat et la volonté d’écarter des candidats. Nous allons faire face, qu’il vente ou qu’il neige.’’ La trentaine, la jeune fille de teint noir se dit outrée par l’injustice et la misère qui règnent dans le pays.

Partie au Maroc en 2009, elle est rentrée en 2019 et espérait trouver de conditions meilleures. Aujourd’hui, la restauratrice regrette amèrement son retour. ‘’Si j’avais su que ce sont ces conditions que je vais trouver ici, je ne serais jamais rentrée. Je regrette vraiment. Il y a trop d’injustice dans ce pays. Pendant que les populations trinquent, eux sont en train de distribuer de l’argent à gauche et à droite. Ils n’ont  aucun respect pour les populations ; il est temps que ça cesse’’.

Quand la police prend la presse pour cible !

Même quand la situation est presque sous contrôle, avec une cité Keur Gorgui presque désertée par les manifestants, certains éléments des forces de défense et de sécurité parviennent à s’illustrer de la plus triste des manières.

Hier, alors que les reporters étaient massés, vers les coups de 16 h, à la devanture du Samu, pour interviewer quelques personnalités sur place, un policier a osé tirer à bout portant sur l’un d’eux qui portait bien son gilet. Sorti de l’établissement où il a été admis jusqu’aux alentours de 19 h, Ousmane Thiang témoigne : ‘’C’est au moment où nous étions en train de prendre des réactions. Celui qui a tiré m’a regardé et m’a bien visé avant de tirer à bout portant sur moi. On m’a fait faire une radio et, Alhamdoulilah, plus de peur que de mal. Nous n’étions là que pour informer et on veut nous empêcher de faire notre travail. Je me demande dans que pays nous sommes.’’ Ayant reçu le projectile au niveau de la cuisse, il s’en est tiré avec une indisponibilité de 13 jours. Le jeune journaliste en appelle à plus d’action de la part des associations faitières. ‘’Nous lançons un appel à ceux qui sont à la tête des associations de presse. Ils doivent être plus présents pour défendre les journalistes qui souffrent sur le terrain. Quel que soit leur organe, du reste’’.

D’autres professionnels des médias ont été blessés dans les mêmes conditions, s’ils ne sont pas arrêtés.

Des députés blessés, dont Guy Marius Sagna

À l’instar des journalistes, les députés aussi ont subi la furie des policiers au niveau de la cité. Le leader de Frapp/France Dégage, Guy Marius Sagna, était encore à l’hôpital jusque vers 20 h, quand nous quittions les lieux. Avec à son chevet ses collègues membres de la coalition Yewwi Askan Wi. Ramatoulaye Bodian a elle aussi reçu un projectile, mais a eu plus de chance. Elle raconte : ‘’Nous étions six députés. On était parti voir le président Ousmane Sonko. À notre grande surprise, les policiers nous ont empêchés d’y aller, malgré nos écharpes. Alors qu’on essayait d’expliquer, l’un d’eux a tiré sur Guy Marius Sagna. J’ai alors commencé à leur demander pourquoi ils tirent comme ça sur les gens. Il a pris du recul et il a tiré sur moi. Comme j’ai un peu reculé, c’est tombé sur mon mollet. C’est un acte très grave, antirépublicain. C’est fort regrettable. Que ces gens sachent qu’ils vont rendre compte.’’

Mor AMAR

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