Publié le 16 Feb 2017 - 21:47
PORTRAIT CROISE DU TRIO ARBITRAL SENEGALAIS

Unis pour le meilleur et pour le sifflet  

 

Depuis 2014, Malang Diédhiou, El Hadji Malick Samba et Djibril Camara font de bonnes prestations dans l’arbitrage. Ce trio, uni par le sifflet, partage aussi, hors des terrains de football, une parfaite amitié. Cette fraternité  constitue aujourd’hui pour eux le secret de leur ascension dans l’arbitrage. EnQuête vous plonge dans l’intimité de ces trois personnes.  

 

Sacré quatorzième sifflet mondial en décembre 2016, puis deuxième africain en janvier 2017, Malang Diédhiou fait depuis quelque temps la fierté de son peuple et continue son ascension dans l’arbitrage international. Retenu dans la liste des 17 juges centraux pour la Coupe d’Afrique des nations (Can) Gabon 2017, l’homme, élancé, de teint clair, assisté  fidèlement de  Djibril Camara et d’El Hadji Malick Samba, a  officié lors de cette compétition trois rencontres, dont une demi-finale (Burkina Faso - Egypte).  

Dix jours après son retour du Gabon, le numéro 1 de l’arbitrage sénégalais se tourne vers de nouveaux défis. Lui et ses deux assistants sont présélectionnés  pour la Coupe du monde 2018 en Russie. Il est d’ailleurs invité par la  Commission d’arbitrage de la Fédération internationale de football association (FIFA) à  prendre part, du  3 au 7 avril 2017, à Florence (Italie),  à un séminaire de préparation du prochain Mondial  réservé aux arbitres centraux présélectionnés pour cette compétition.

Pour le douanier, la clé de son succès dans l’arbitrage, c’est l’importance qu’il accorde aux rencontres qui lui sont confiées. ‘’Il n’y a pas de grands ou petits matchs pour moi. J’aborde toutes les rencontres de la même façon. C’est pourquoi je n’ai jamais eu de pression. Pour moi, l’important, c’est de donner le maximum de moi pour représenter dignement ma corporation et le peuple sénégalais’’, dit-il quand on l’interpelle sur ses prestations à la Can de 2017.  

C’est ce qui explique sans doute l’action qui l’a le plus marqué dans sa carrière d’arbitrage. Désigné pour la rencontre entre la Syrie et la Nouvelle -Zélande au Mondial des moins de 17 ans, Chili 2015, Malang Diédhiou, officiant son premier match  international, a sifflé un penalty, 43 secondes après le coup d’envoi. ‘’Accorder un penalty avant la première minute arrive très rarement dans le football. C’est pourquoi je considère cela comme la chose qui a attiré le plus mon attention en tant qu’arbitre’’, se réjouit l’ancien élève au Lycée Ahoune Sané de Bignona.  

L’ascension de cet arbitre central ne surprend guère le président de la Commission régionale des arbitres (Cra) de Diourbel. ‘’Lorsque je l’ai supervisé en 2009, j’ai été surpris par ses prestations. Il sérieux, athlétique et impose son autorité’’, se souvient le Libano-Sénégalais, Khalil Aoud.

Aujourd’hui, Malang Diédhiou avoue qu’il ne peut pas réaliser ces performances à lui seul. En réalité, derrière ce juge central, se cachent deux complices : Djibril Camara et El Hadji Malick Samba.  ‘’Il y a une complémentarité entre nous. C’est eux qui m’aident sur beaucoup de choses. Notre partageons une amitié qui dépasse l’arbitrage. C’est cela qui fait notre force’’, indique-t-il.

Destins croisés entre un douanier, un enseignant et un élève-infirmier

La particularité de ces trois arbitres, c’est qu’ils ont été formés à la même école (Sous-Commission régionale des arbitres de Rufisque). Ils n’ont pas démarré ensemble leur formation mais leurs chemins se sont croisés. El Hadji Malick Samba  et Djibril Camara, les deux Lébous, nés respectivement en 1979 et  1983  à Rufisque, ont commencé  à suivre les cours d’arbitrage en 1999 à la Sous-CRA de leur ville d’origine, coiffée par la Cra de Dakar. Mais Djibril Camara, footballeur à l’époque, évoluant comme excentré droit dans le ‘’Nawétane’’ (championnat populaire), à  l’équipe Jeunesse amicale de Darou Salam de Rufisque, avait suspendu sa formation. Il espérait faire une carrière professionnelle dans le foot. L’ancien élève du Lycée Abdoulaye Sadji de Rufisque revint sur sa décision en reprenant le sifflet en 2002. ‘’Lorsque j’ai constaté que le taux d’échec dans le foot était très élevé, j’ai décidé de poursuivre  ma carrière d’arbitre’’, raconte le titulaire d’une licence en Banque-Assurances à l’Université Dakar BourguiIba.

Malang Diédhiou, lui, a vu le jour en 1973, à Badiana, village situé à 21 kilomètres de Bignona (région de Ziguinchor). Le colonel des Douanes, qui se définit  comme un pur  Diola,  renseigne que c’est le hasard qui l’a fait entrer dans l’arbitrage en 1994 : ‘’Un jour,  il y avait un problème dans notre village lors d’un match de football. Je me suis porté volontaire pour siffler la rencontre. C’est là que j’ai eu la passion car j’ai bien dirigé la partie’’. Galvanisé par ce succès, il décida de s’inscrire aux cours d’arbitrage pendant les vacances. Mais le villageois, devenu bachelier en 1995, suspendra les cours d’arbitrage après son orientation à la Faculté des sciences juridiques et politiques de l’Université Cheikh Anta Diop (Ucad) de Dakar. ‘’Je n’avais pas l’ambition de faire une carrière dans l’arbitrage. J’étais plutôt préoccupé par mes études supérieures’’, précise-t-il. Le juge central, qu’un joueur du Jaraaf (Ligue 1) dépeint comme un homme respectueux et qui marque son autorité sur le terrain de football, réussit alors son pari. Il sera titulaire d’une maîtrise en Droit, option Droit judicaire privé en 1999.

Après l’obtention de son diplôme, il retourne à l’arbitrage en intégrant la Sous-Cra de Rufisque où il partagera la même promotion avec El Hadji Malick Samba.  Il passera le premier examen pour devenir arbitre de district avec El Hadji Malick Samba qui venait de boucler ses huit années d’élève-arbitre. Ils graviront ensemble les autres échelons en devenant tour à tour arbitre de district en 2006, puis arbitre de Ligue en 2007. Diédhiou et le licencier en Anglais à la Faculté des lettres et sciences humaines (FLSH) de l’Ucad réussissent un exploit. Ils sont devenus, en 2008, les deux premiers Sénégalais à porter le grade d’arbitre international avant de passer l’examen fédéral. Comme le dit l’adage ‘’Qui peut le plus peut le moins’’, ils passeront les tests fédéraux l’année suivante. C’est à la même année (2009) que leur camarade Djibril Camara, devenu  arbitre fédéral en 2007, portera le titre d’arbitre assistant international.

Trio impressionnant

Lorsqu’ils sont devenus des internationaux, ces trois arbitres officiaient séparément dans les rencontres. Mais en 2012,  les deux assistants, El Hadji Malick Samba et Djibril Camara, formeront un noyau dur avec Badara Diatta. C’est après la retraite du juge central que  Malang Diédhiou a été coopté pour le remplacer. ‘’Après le départ de Badara Diatta, je ne pensais pas voir un autre pour sa succession. Mais quand nous avons discuté avec Malang, il nous a promis d’assurer la relève. Il a bien réussi’’, témoigne El Hadji Malick Samba.

Depuis lors, ils forment ‘’un trio impressionnant’’, selon le président de la Commission centrale des arbitres du Sénégal (CCA). ‘’C’est la première fois que notre pays dispose d’un trio d’arbitrage de ce type. Ils sont dans l’élite africaine car lors de la Can de 2017, seuls le Sénégal et le Cameroun ont présenté un trio et nos arbitres se sont bien comportés’’, renseigne Amadou François Guèye dit ‘’Franky’’.  Son témoignage est conforté par le nombre de rencontres dirigés par ce trio arbitral : deux en phase de poules (République Démocratique du Congo - Togo), (Egypte - Ouganda)  et une demi-finale (Burkina Faso - Egypte) dans ce tournoi où le ratio était d’une rencontre par arbitre. A l’issue de ces trois rencontres, Malang Diédhiou et ses assistants ont convaincu la Commission d’arbitrage de la  Confédération africaine de football (Caf). Cette dernière, satisfaite de leurs prestations, les avait pressentis pour siffler la finale opposant l’Egypte au Cameroun. Mais en raison de l’élimination du Sénégal par les poulains d’Hugo Bross en quart de finale, la Caf confiera le dernier acte de cette Can à l’arbitre  zambien, Janny Sikazwé, pour éviter un conflit d’intérêts.

L’arbitrage, une passion et une mission

Malang Diédhiou, la mise toujours bien soignée, promu lieutenant-colonel des Douanes quelques années après sa sortie de l’Ecole nationale de l’administration du Sénégal, en 2004, dirige aujourd’hui le bureau de la zone franche industrielle de Dakar. Ce fonctionnaire, qui considère l’arbitrage comme une deuxième mission, a renoncé depuis quelques années à son congé annuel pour compenser ses absences causées par l’arbitrage. ‘’Depuis que je suis devenu arbitre international en 2008, j’ai pris l’initiative de ne plus me reposer pour rendre un hommage à l’administration qui m’a permis de poursuivre convenable ma carrière d’arbitrage. Je voyage beaucoup pendant les compétitions. Mais avant de quitter le pays, je bénéficie toujours d’une autorisation de sortie signée par le ministre de l’Economie, des Finances et du Plan’’, se félicite l’ancien élève-avocat.

Avant son admission à l’ENA, en 2002,  l’enfant de Badiana avait réussi le concours d’entrée, l’année d’avant, au Barreau du Sénégal en 2001. Il a commencé son stage dans le cabinet de Maître Ibrahima Guèye avant de démissionner quelques mois plus tard. 

Malgré leurs agendas chargés, Malang Diédhiou, Lieutenant-colonel des Douanes,  El hadji Malick Samba, professeur d’Anglais, et Djibril Camara, élève-infirmier au Centre de formation professionnelle de Rufisque, allient leurs tâches quotidiennes aux obligations de l’arbitrage. Ils veillent au respect du planning des entraînements quotidiens imposés par la Fifa : nombre de kilomètres à courir par jour, variation de la vitesse moyenne,  nombre de calories, taux de la graisse, poids minimum etc. Ces données sont bien contrôlées à travers des montres qu’ils portent  à l’entraînement.

Cela leur a permis d’être présents dans toutes les compétions africaines et mondiales. Des  efforts et performances qui, selon Djibril Cama, méritent d’être  récompensés  par le peuple. ‘’Au Sénégal, on ne parle des arbitres que lorsqu’ils font une mauvaise prestation. Nous méritons d’être reçus par le chef de l’Etat car nous avons toujours représenté dignement notre pays’’, regrette le seul Sénégalais désigné pour la Coupe du monde 2014 au Brésil.  

OUMAR BAYO BA

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