Publié le 10 Dec 2024 - 17:09
RADIATION BARTHÉLEMY DIAS    

Un nouveau chapitre dans la saga des purges politiques

 

Le paysage politique sénégalais, souvent secoué par des controverses et des conflits d’intérêts, connaît un nouvel épisode : la radiation de Barthélemy Dias, député à l'Assemblée nationale et la menace imminente de sa révocation à la tête de la mairie de Dakar. Cet événement, loin d’être isolé, s’inscrit dans une dynamique récurrente où des figures politiques de l’opposition sont frappées par des mesures administratives ou judiciaires contestées. Le cas Dias, tout comme ceux de Khalifa Sall, Ousmane Sonko et Karim Wade, pose une question fondamentale : la loi est-elle appliquée de manière équitable ou sert-elle des intérêts partisans ?

 

Lors de son point de presse tenu hier lundi, Barthélemy Dias a tenu à réaffirmer sa position avec son franc-parler habituel. ‘’Je le dis et je le répète en toute humilité : je n'ai pas ma place dans cette Assemblée nationale’’, a déclaré le maire de Dakar, visiblement déterminé à s'expliquer devant l'opinion publique.

Toutefois, il a interpellé les autorités, en particulier le ministre de l’Intérieur, avec une question centrale : ‘’Suis-je le seul député à avoir été condamné définitivement ?’’

Cette déclaration met en lumière un sentiment d’injustice perçu où il pointe du doigt l’incohérence des mesures prises par les autorités administratives. Il rappelle que plusieurs figures politiques, membres de l’opposition ou non, ont été condamnées sans pour autant subir les mêmes conséquences. Cette ‘’radiation’’ jugée sélective par certains ouvre un débat houleux sur l’élégance républicaine et l’impartialité de l’Administration sénégalaise.

Une mécanique bien connue : après Khalifa Sall et Ousmane Sonko, à qui le tour ?, s’interroge ce membre influent de la société civile, Élimane Kane. ‘’Aujourd’hui, c’est Dias, hier c’était Khalifa Sall, Mbaye Ndiaye, Cissé Lo, Sonko. Demain, ce sera le tour d’un autre opposant redouté’’.

Pour lui, cette succession de cas montre une tendance inquiétante où des opposants politiques, souvent populaires, se retrouvent exclus du jeu politique, suite à des condamnations judiciaires ou administratives.

* Le cas Khalifa Sall (2017) : alors maire de Dakar, Khalifa Sall avait vu son immunité parlementaire levée par une Assemblée nationale dominée par la coalition présidentielle Benno Bokk Yaakaar (BBY). Accusé de ‘’détournement de fonds publics’’, il fut emprisonné puis gracié en 2019, mais reste inéligible. À l'époque, beaucoup avaient dénoncé un acharnement politique visant à écarter un potentiel rival à la Présidentielle de 2019.

* L’affaire Ousmane Sonko (2021) : Le député et leader du Pastef avait également vu son immunité parlementaire levée dans une procédure qualifiée de ‘’viciée’’ par ses partisans. Les accusations portées contre Sonko avaient alimenté un climat de méfiance envers les institutions jugées partiales et instrumentalisées.

Ces exemples révèlent une stratégie où le conflit entre la loi et la légitimité populaire est souvent arbitré au profit d’intérêts partisans. Dans chaque cas, les figures concernées ont vu leur popularité croître, soutenues par une opinion publique de plus en plus critique à l’égard du pouvoir en place.

La menace d’une révocation à la mairie de Dakar

Barthélemy Dias ne semble pas au bout de ses peines. En parallèle à sa radiation de l’Assemblée nationale, une nouvelle menace pèse sur sa fonction de maire de Dakar. Abdou Khadre Ndir, un citoyen de la commune de Sicap Liberté, a saisi le préfet de Dakar, exigeant l’application de l’article 277 du Code électoral. Cet article stipule : ‘’Tout conseiller municipal qui, pour une cause quelconque, se trouve dans l'un des cas d'inéligibilité ou d'incompatibilité prévus par la loi, peut être, à toute époque, déclaré démissionnaire par le représentant de l'État, sauf recours devant la Cour d'appel dans les dix jours de la notification.’’

La saisine d’Abdou Khadre Ndir pourrait conduire à une procédure administrative visant la révocation de Barthélemy Dias de son poste de maire.

Une situation similaire avait frappé Khalifa Sall en 2017, lorsque sa condamnation avait provoqué sa déchéance à la tête de la mairie de la capitale sénégalaise.

L’affaire Barthélemy Dias, comme celles de ses prédécesseurs, révèle une fragilité structurelle dans le fonctionnement de la démocratie sénégalaise. Le choix sélectif de l’action ou de l’inaction par les autorités (ministres, préfets ou juges) est au cœur du débat. Pourquoi certaines condamnations entraînent-elles des radiations immédiates, alors que d’autres sont ignorées ?

Pour beaucoup de citoyens et observateurs, le jeu des partis politiques en est une cause majeure. Les institutions, censées être indépendantes, semblent agir selon des logiques partisanes plutôt que républicaines. Cela conduit à une érosion de la confiance des citoyens envers leurs représentants et, plus largement, envers l’État de droit.

Si l’objectif des autorités est d’affaiblir Barthélemy Dias, le pari semble risqué. L’histoire politique sénégalaise montre que les exclusions forcées peuvent se transformer en tremplin pour des opposants.

Pour rappel, Khalifa Sall, malgré son exclusion, reste une figure centrale de l’opposition sénégalaise. Ousmane Sonko, malgré les accusations et les obstacles judiciaires, a vu sa popularité exploser. Pour certains observateurs, Barthélemy Dias pourrait suivre le même chemin.

Premier opposant de poids à être touché sous le régime Diomaye- Sonko, Dias pourrait gagner en popularité, grâce à la sympathie des Sénégalais, toujours prompts à soutenir les "victimes du système" ou affaibli et se retrouver dans une mauvaise posture face à la montée en puissance de Pastef.

Amadou Camara Gueye

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