Publié le 12 Mar 2020 - 22:55
CONSEIL PRESIDENTIEL SENEGALO-GAMBIEN

Deux ans après, le bilan est peu reluisant

 

Le Sénégal et la Gambie se sont engagés, sur plusieurs fronts, à unir leurs forces, lors de la première session du Conseil présidentiel. A ce jour, l’ampleur du trafic de bois à la frontière de ces deux pays semble avoir mis à nu l’inefficacité des engagements pris.

 

Le trafic de bois censé régresser, vu les engagements pris par les deux chefs d’Etat gambien et sénégalais, s’accentue, au contraire, à la frontière sénégalo-gambienne. L’enquête de BBC Africa eye, ‘’Ces arbres qui saignent’’, publiée mardi dernier, le montre à suffisance. Ce sont, au total, 300 000 t de bois de rose qui ont été arrachées à la forêt casamançaise, poumon vert du Sénégal, au profit d’exportations illégales vers la Chine, depuis l’accession au pouvoir d’Adama Barrow.

Pourtant, l’ex-président Yaya Jammeh a été taxé d’avoir amassé des sommes faramineuses, en tirant profit de cette catastrophe environnementale. Et en mars 2018, lors de la première session du Conseil présidentiel sénégambien, le président Barrow l’avait enfoncé.

‘’Vous savez tous que mon prédécesseur et ses acolytes avaient des intérêts directs dans le trafic de ce bois. Or, tout le monde s'accorde à dire que ce trafic est très lucratif, à l'image du trafic de la drogue. Dès que l'on s'y met, on ne s'arrête plus et les appétits deviennent gigantesques. Mais mon gouvernement n'a aucun intérêt dans ce trafic du bois de Casamance et j'ai dit au président Macky Sall que les forces de sécurité et de défense de la Gambie sont maintenant stationnées à tous les points d'entrée utilisés par ces trafiquants du bois de Casamance. Donc, je voudrais assurer le Sénégal de ma totale collaboration et de ma disponibilité dans cette lutte commune’’, disait-il en mars 2018.

Dans la foulée de cet engagement, son homologue sénégalais avait prôné une union des forces pour venir à bout de cette équation. ‘’Nous avons la responsabilité de préserver cet héritage familial, pour léguer à nos enfants et aux générations futures un espace sénégambien stable et apaisé, et dont toutes les composantes vivent en harmonie. Cela passe nécessairement par une lutte déterminée et coordonnée contre toutes les formes de criminalité et de trafic illicite, y compris l’exploitation illégale de nos ressources naturelles. Le trafic illicite n’est pas seulement une violation formelle de la loi. Il est aussi et surtout une source d’instabilité pour la société et l’Etat. C’est pourquoi nous ne devons ménager aucun effort pour faire de la lutte contre ce fléau une priorité de premier ordre, notamment dans le cadre de l’Accord sur la gestion des ressources transfrontalières dans le domaine de la foresterie’’, déclarait le président Macky Sall.

Toutefois, l’engagement qui suinte de ces déclarations est bien loin de la vérité des faits. Deux ans après, le trafic suit son cours, au vu et au su de tout le monde. La chute du ‘’dictateur’’ n’y a rien changé. La même année, au Sénégal, le ministre des Affaires étrangères d’alors, Sidiki Kaba, avait annoncé l’intensification de patrouilles mixtes le long de la frontière, pour lutter contre ce commerce illicite.

En outre, en janvier 2019, le décret d’application de la loi portant Code forestier, du 12 novembre 2018, rendant plus sévères les peines financières et privatives de liberté, s’ajoutait aux mesures gouvernementales. Il faisait suite aux douloureux événements de Boffa-Bayotte où 13 jeunes avaient perdu la vie. Visiblement, cela n’a pas été dissuasif.

Face à l’ampleur de la problématique, l’ancien ministre de l’Environnement, Mame Thierno Dieng, évoquait un blocage dans la lutte dû à l’ex-territorialisation du trafic, rendant ainsi difficile la maîtrise de tous les paramètres. Une déclaration laissant paraitre la nécessité d’une collaboration sincère entre les deux pays.  

Selon l’actuel ministère de l'Environnement, "cette lutte contre la destruction de nos écosystèmes constitue une bataille rude et difficile, mais qui se gagnera certainement dans la persévérance et le renforcement des efforts jusque-là entrepris".

Des preuves troublantes…

Dans la zone transfrontalière, les journalistes du media britannique ont repéré au moins 12 dépôts actifs de bois de rose situés en territoire gambien, sur une zone de 150 km.  Ils existent depuis l’arrivée au pouvoir d’Adama Barrow en 2017. La Gambie fait partie des cinq plus grands exportateurs de bois à l’échelle mondiale. La moitié des exportations du pays sont celles du bois de rose, qui représente 10 % de son PIB. Or, les autorités gambiennes ont annoncé l’épuisement des réserves de bois du pays et la disparition du bois de rose sur leur territoire, il y a dix ans de cela. Un paradoxe qui prouve que le pillage des forêts sénégalaises se poursuit, jour et nuit, car ses retombées financières attirent des bucherons gambiens, sénégalais, mais également ceux de toute l’Afrique de l’Ouest.

La Chine, réceptacle de cette richesse naturelle, estime à 300 000 000 de dollars ce trafic de bois. Au Sénégal, tout comme en Gambie, sa coupe et son exportation sont interdites. Sauf que, dans le second pays, la loi change au gré des pressions exercées par les trafiquants et leurs nombreuses complicités à tous les échelons de l’Etat. Il existe des moments de levée d’interdiction émanant du ministère de l’Environnement. Cependant, même en période d’interdiction, l’accumulation de bûches continue.  

‘’Ce n’est pas possible que l’Administration ne soit pas au courant. On arrête de temps en temps des charrettes, mais c’est très peu par rapport à l’ampleur de ce qui se coupe. Les responsables forestiers sénégalais ne bougent pas. Tout est là, tout est visible et tout le monde est responsable. Donc, si rien n’est fait, c’est qu’il y a un laisser-aller ou alors il y a une complicité. Ce n’est pas possible qu’il en soit autrement. C’est la Gambie qui doit arrêter l’exportation du bois. Les autorités font de bonnes promesses. Elles disent : on va arrêter, mais en réalité, ce n’est pas vrai. Tous les jours, nous voyons les trafiquants, comment partout on coupe le bois et on les stocke dans des dépôts visibles, proches de la frontière. Le bois est acheminé à Banjul dans des containers et transporté par des bateaux en partance pour la Chine. Tout le monde est complice’’, lance, meurtri, l’ancien ministre de l’Environnement El Ali Haidar, dans la vidéo de la BBC.

Comme pour enfoncer le clou, le directeur de l'Agence internationale de reforestation renseigne qu’un ancien domaine agricole de Yaya Jammeh, aujourd’hui aux mains du régime de Barrow, a été transformé en un immense dépôt de bois gardé par des soldats.

Le ministre de l’Environnement gambien au cœur du trafic

Dans cette quête de vérité, l’Agence d’investigation environnementale a su démontrer l’implication de certains membres du gouvernement gambien dont le ministre de l’Environnement Lamine Dibba. Aidé par Lamine Saidy Kane (gestionnaire du site du gouvernement et chef d’une entreprise d’exportation de bois), l’autorité s’attèlerait à délivrer des documents légaux aux commerçants, en échange d’une récompense financière.

Par ailleurs, ces derniers bénéficient également de la complicité des rebelles casamançais qui ont vu en ce business un moyen sûr de se remplir les poches et de financer leurs activités. Ce qui ne fait que renforcer la complexité de ce trafic.

Le bois de rose a été placé sous protection internationale en tant qu’espèce sauvage de la faune et de la flore menacée d’extinction. Il s’agit de la Convention Cites (Convention on International Trade of Endangered Species), un code contraignant adopté par les deux pays pour protéger leur environnement.

Mais tous ces engagements semblent être confinés dans le domaine théorique, puisqu’en six ans, 600 000 t de bois de rose, soit l’équivalent d’un million d’arbres, ont été transportés vers la Chine. Ils atterrissent dans les boutiques de meubles de luxe de l’Empire du milieu.

‘’Je suis peiné de voir qu’il n’y a pas d’actions derrière nos discours. L’environnement n’a plus besoin de nos discours, mais de protection. Nous avons combattu Yaya Jammeh, mais on se rend compte qu’avec Adama Barrow, c’est la même chose’’, se désole Ali Haidar. Cette déforestation grandissante participe au réchauffement du climat, à la diminution des précipitations, tout en exposant la végétation à une disparition programmée.

Autant de raisons qui devraient entrainer une action à la hauteur du préjudice causé.

Une circulation toujours difficile

Au menu des discussions entre les présidents Macky Sall et Adama Barrow, devrait aussi figurer, ce matin, la question du transport routier. Le premier Conseil sénégalo-gambien avait accouché de décisions de la part des deux Etats, allant dans le sens de la facilitation de la circulation. Le président Macky Sall avait demandé, en mars 2018, aux forces de défense et de sécurité sénégalaises et gambiennes de ‘’cesser toutes tracasseries et entraves indues’’ dans l’espace sénégambien. ‘’Nous disons aux responsables de la sécurité au niveau des frontières de ne plus faire aucune entrave indue à la libre circulation des personnes et des biens dans l’espace sénégambien’’, avait-il déclaré.

Macky Sall avait appelé à la poursuite des efforts pour une ‘’lutte ferme contre toutes les entraves et barrières dans les points frontaliers, heurtant sérieusement le sentiment des uns et des autres’’. ‘’J’invite nos deux gouvernements à examiner sans tarder les voies et moyens de mise en œuvre des recommandations de la Déclaration de Karang, y compris celles relatives à l’élimination des pratiques anormales sur le corridor Dakar - Banjul et l’installation de centres d’information frontaliers, avec le soutien du Secrétariat permanent sénégalo-gambien’’, recommandait-il.

Sauf que, même après l’érection du pont de Farafegny, les transporteurs sénégalais font toujours face aux vieux démons. Face à la presse, en juillet dernier, le porte-parole de l’Association des transporteurs et commerçants du Sénégal dénonçait une logique des rabatteurs gambiens consistant à faire la queue avec leurs véhicules remplis de marchandise. ‘’Si le tour de passage du transporteur arrive, il est obligé de laisser son véhicule et de prendre un autre en location au profit de la Gambie. C’est insensé et absurde’’, a-t-il déploré. Une pratique pourtant contraire au règlement de l’UEMOA qui garantit la circulation des biens et des personnes.

En plus, le discours du président Macky Sall, quelques mois plus tôt, n’aura pas servi à changer la donne. Il disait : ‘’Nous devons maintenir le rythme, parce que ce pont n’est pas seulement une infrastructure de transport ordinaire. C’est aussi un facteur de progrès économique, un trait d’union indispensable entre les peuples et un puissant facteur d’intégration sous-régionale. Nous devons lutter plus fermement contre toutes les tracasseries administratives, les barrières non-tarifaires et les pratiques anormales le long des corridors et aux frontières.

Ces entraves, en plus de violer les textes de la CEDEAO, heurtent sérieusement le sentiment de citoyenneté sénégambienne chez nos populations’’.
L’autre grand sujet devrait être la sécurité, puisque la Gambie peine à renouer avec une armée républicaine. Barrow vient d’ailleurs de limoger le chef d’Etat-major général des armées (voir ailleurs). Les deux pays se sont engagés à unir leurs forces, au travers d’une unité de défense et de sécurité de la CEDEAO majoritairement constituée de soldats sénégalais. Il va de soi que la deuxième session du Conseil présidentiel entre les deux pays devra répondre aux différentes interrogations suscitées par l’actualité qui les unit.

EMMANUELLA MARAME FAYE

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