Publié le 29 Oct 2020 - 21:20
DISSOLUTION DU GOUVERNEMENT

Macky Sall chamboule tout 

 

En plus d’une grande réorganisation de l’Administration territoriale en Conseil des ministres, le président de la République a dissous le gouvernement et mis fin aux fonctions de Mimi Touré, Mahammed Boun Abdallah Dionne et Maxime Jean Simon Ndiaye. Le chef de l’Etat veut donner un nouveau souffle à ce magistère.

 

Une ‘’bête’’ politique ? Un borgne au royaume des aveugles ? Un visionnaire déviant de la politique ?  Il est de plus en plus difficile de déterminer la manière de faire de Macky Sall dans sa gestion des affaires de la cité qu’il dirige. Tant ses virages peuvent être brusques et les changements de cap contradictoires. A l’image de la suppression du poste de Premier ministre, à la sortie de l’élection présidentielle de février 2019, le président de la République a montré qu’il avait plus d’un tour dans son sac.

Alors qu’on ne l’attendait plus, il a dissous son gouvernement en place depuis 18 mois. Un communiqué signé du ministre, Porte-Parole de la présidence de la République, Abdoul Latif Coulibaly, a informé que quatre décrets, à la date du 28 octobre 2020, ont mis fin aux fonctions des ministres et secrétaires d’Etat membres du gouvernement. Mais aussi aux fonctions du président du Conseil économique, social et environnemental, du ministre d’Etat, Secrétaire général de la présidence de la République, et du ministre, Secrétaire général du gouvernement.

La dissolution du gouvernement n’est pas en elle-même une grosse surprise. ‘’EnQuête’’ l’a annoncé, il y a des mois, avant que la Covid-19 ne vienne contrecarrer ce projet mûri depuis longtemps.

En tout cas, des rumeurs prêtent, depuis plus d’un mois, au président de la République l’intention de ne plus diriger seul. La réforme qui lui a permis de promulguer, le 14 mai 2019, la loi constitutionnelle portant suppression du poste de Premier ministre, renforçait le caractère présidentiel du régime. Macky Sall se disait même, dans sa gestion en mode ‘’Fast track’’, vouloir être au contact direct avec les niveaux administratifs chargés de la mise en œuvre de ses politiques. Le président de la République a-t-il changé d’avis ? S’est-il rendu compte qu’il ne pouvait pas être au four et au moulin ?

Il faut dire que beaucoup de fronts chauffent dans le pays, sans qu’un autre visage que le sien ne vienne jouer les pompiers.

Les raisons du remaniement

Mais selon des sources, ce qui fonde réellement ce remaniement, à ce moment du quinquennat, c’est le contexte socio-économique : la morosité actuelle due à la pandémie, la reprise de l’émigration irrégulière et l’économie en souffrance. Le chef de l’Etat veut donc donner un nouveau souffle à ce début de quinquennat difficile et surtout secouer ses troupes. Il se rend bien compte que le moral est bas et que le sentiment d’échec prédomine actuellement. Faire un remaniement, en ce moment, c’est aussi détourner l’attention d’une actualité déprimante.

En effet, la pandémie de coronavirus a paralysé, six mois durant, l’économie qui peine à se relancer, malgré les plans mis en place par le gouvernement. Les polémiques entachant la gestion des fonds alloués pour faire face à la pandémie n’ont rien arrangé. Les intempéries du mois dernier ont mis à l’épreuve le Plan décennal de lutte contre les inondations et remis en cause l’exécution des dépenses sur les 750 milliards de francs CFA prévus  à cet effet. Et comme son prédécesseur, Macky Sall doit se démerder avec la reprise de l’émigration irrégulière, signe évident que les choses ne s’améliorent pas pour une jeunesse désabusée et prête à affronter la mort pour fuir son quotidien.

Attaqué de toute part par l’opposition, le président s’est souvent plaint de ne pas être assez soutenu par ses alliés de l’APR. Au rythme où vont les choses, se sentirait-il en danger dans la perspective des élections municipales et départementales prévues ‘’au plus tard le 28 mars 2021’’ ? Beaucoup des hommes forts de sa campagne, lors de la dernière Présidentielle, ont été quelques peu ‘’effacés’’ des premiers rôles. Surtout ceux à qui l’on prêtait l’ambition de lui succéder. Le puissant ministre des Finances Amadou Ba a été ‘’poussé’’ aux Affaires étrangères. L’ancien Premier ministre Aminata Touré a hérité du Cese où elle ne risquait point de faire de l’ombre à qui que ce soit.

A cela s’ajoutent les remous à l’intérieur du parti au pouvoir avec les exclusions rocambolesques de Moustapha Diakhaté, ex-Directeur de cabinet de Macky Sall, et de Moustapha Cissé Lo, député de l’APR et ancien représentant du Sénégal au Parlement de la CEDEAO. Trop de choses à gérer pour un homme qui doit en plus s’occuper de diriger le pays. La Conférence des leaders de Benno Bokk Yaakaar, organisée en début de mois dernier, avait déjà permis au président Macky Sall d’évoquer un partage des responsabilités avec ses alliés. 

Macky Sall va certainement passer à l’action. Et la plus grande interrogation reste le retour ou nom du poste de Premier ministre. Qui pour l’occuper ? Homme de confiance du président de la République, Mahammed Boun Abdallah Dionne a occupé cette fonction sur la plus longue période sous la présidence de Macky Sall. Apte à coordonner sans faire ombre au chef de l’Etat, le désormais ex ministre d’Etat, Secrétaire général de la présidence de la République a de belles chances de retrouver la primature.

Mais là aussi, l’on n’est pas à l’abri d’une surprise, si jamais il se décidait à rétablir un Premier ministre.

Une autre question se pose dans l’optique de la formation du nouveau gouvernement. Qui va-t-il sanctionner ou récompenser ? Le président devra changer des têtes au sein de son équipe pour booster l’application de son plan de relance économique, alors que le pays est au bord de la récession. Mais s’il souhaite un gouvernement élargi, va-t-il privilégier les membres de la mouvance présidentielle ? Ou les opposants ayant montré leur approbation de la politique de Macky Sall, à travers leur participation au dialogue politique ?     

Certains noms sont déjà évoqués pour entrer dans le futur gouvernement. Ceux de collaborateurs qui ont soutenu la candidature de Macky Sall, lors de la Présidentielle de 2019, comme l’envoyée spéciale du président de la République Aïssata Tall Sall. Mais aussi les ex-libéraux du Parti démocratique sénégalais, Me Ousmane Ngom, Modou Diagne Fada, Oumar Sarr. Même si l’assise politique des derniers nommés peut poser à débattre.   

A l’image du gouvernement, les questions concernent les autres grandes personnalités autour du président, qui ont été relevés de leurs fonctions. En particulier, la présidente du Conseil économique, social et environnemental. Beaucoup d’interrogations subsistent autour de l’avenir politique d’Aminata Touré qui occupait le poste. Sanctionnée en 2014, après avoir perdu la mairie de Grand-Yoff au profit de Khalifa Sall, Mimi Touré était revenue dans les bonnes grâces du président de la République. Son limogeage est-il une sanction ? Ou bien Macky Sall prépare-t-il son retour dans le gouvernement ? Le cas Mimi Touré est ambivalent, d’autant qu’elle se trouve dans le collimateur des faucons du palais qui voient de mauvais œil l’épaisseur politique qu’elle était en train de prendre, depuis la station du Cese.

En tout cas, ce départ peut aussi augurer d’un retour aux sources d’une valeur sûre du régime de Macky Sall.

Mais la place vacante suscitera bien des convoitises, ces prochaines heures ou jours. Alors que le leader de l’AFP est à l’Assemblée nationale, celui du Parti socialiste au Haut conseil des collectivités territoriales, le président de la République se permettra-t-il d’installer à la tête de cette dernière institution un leader allié à la place d’un ‘’apériste’’ ?

Toutefois, le nom d’Idrissa Seck évoqué pourrait satisfaire l’envie du président de partager le pouvoir.

Quid également des ministres qui pourraient perdre leur portefeuille ? Il y en a beaucoup qui ont été sous le feu de la rampe, dans la séquence temporelle qui vient de s’écouler, depuis le début du second mandat. D’autres ont été plus en difficulté et essuyé des critiques venant de leur propre camp. Qui va passer sous la guillotine ? Wait and see.   

Lamine Diouf

 

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