Publié le 19 Feb 2021 - 20:02
LEVEE DE L’IMMUNITE PARLEMENTAIRE D’OUSMANE SONKO

Monsieur X, le facteur X…

 

Après le feu vert du Bureau de l’Assemblée nationale, la Commission des lois a validé, hier, la composition de la commission ad hoc chargée de statuer sur la levée de l’immunité parlementaire du leader de Pastef/Les patriotes. Sur fond de tensions sur l’identité de monsieur X visé par le réquisitoire du procureur, l’opposition a boudé le vote.  

 

Une nouvelle étape est franchie dans le processus devant mener à la probable levée de l’immunité parlementaire du député Ousmane Sonko, accusé de viols répétitifs et de menaces de mort par la jeune masseuse Adji Sarr.

Hier, l’Assemblée nationale a validé, sur proposition de la Commission des lois, de la décentralisation, du travail et des droits humains, la création d’une commission ad hoc chargée de statuer sur la demande de levée de l’immunité parlementaire du leader de Pastef/Les patriotes. Ceci, après la saisie par lettre n°059/MJ/SP du 9 février 2021 du garde des Sceaux, Ministre de la Justice, transmettant la lettre du procureur général près la Cour d’appel de Dakar, n°005/PGDK du 9 février.

Cette commission sera composée de huit députés de la majorité (Bounama Sall, Demba Babael Sow, Papa Biram Touré, Adji Diarra Mergane, Mously Diakhaté, Mamadou Oury Baïlo Diallo, Dieh Mandiaye Ba, Aymérou Gningue), de Fatou Ndiaye des non-inscrits et de Serigne Cheikh Mbacké et Moustapha Mamba Guirassy du groupe parlementaire Liberté et démocratie.

Sa mise en place a débuté lundi dernier, lorsque la Commission des lois, de la décentralisation, du travail et des droits humains s’est réunie sous la présidence de madame Dieh Mandiaye Ba. Selon le rapport, celle-ci a précisé, lors de cette séance, que la lettre du procureur général près la Cour d’appel de Dakar transmise au président de l’Assemblée nationale par le ministre de la Justice, demande la levée de l’immunité parlementaire du député Ousmane Sonko.

Le 11 février 2021, le Bureau de l’Assemblée nationale, réuni par le président Moustapha Niasse, a accepté la demande de levée de l’immunité parlementaire. Le même jour, la Conférence des présidents s’est réunie, a retenu la poursuite de la procédure et a saisi la Commission des lois, de la décentralisation, du travail et des droits humains aux fins de constituer la commission ad hoc, conformément aux dispositions de l’article 34 du Règlement intérieur l’Assemblée nationale.

Mais cette procédure, décrite par la majorité, a été vigoureusement dénoncée par les députés de l’opposition et les non-inscrits. D’ailleurs, ces derniers ont boudé le vote de la composition des membres de cette commission ad hoc.

L’opposition boude la séance

Du côté des non-inscrits, liste à laquelle appartient le député Ousmane Sonko, c’est Aida Mbodj qui a été choisie pour défendre son collègue, lors des travaux de la commission ad hoc. Celle-ci se demande pourquoi le juge d’instruction veut saisir l’Assemblée nationale, alors que le procureur a été assez prudent pour viser X dans son réquisitoire. ‘’Ousmane Sonko était dans les dispositions de venir à la plénière, en me laissant préparer sa ligne de défense dans les travaux de la commission ad hoc. Il n’y a pas eu débat préliminaire. Le président n’a donné la parole qu’à un seul député, lors des questions préalables. Il a refusé la tenue de questions préjudicielles. Pourtant, cela nous est autorisé par les articles 74 et 75 du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale. C’est simplement parce qu’il n’a rien à nous répondre. Et dans une situation pareille, notre groupe a décidé de ne pas présenter Ousmane Sonko’’.

Toussaint Manga, qui a porté la voix du groupe parlementaire Liberté et démocratie, dénonce un vice de forme : ‘’Quand le procureur a saisi le juge d’instruction, il a visé des poursuites contre Ndèye Khady Diagne et monsieur X. Le juge d’instruction devait faire son enquête. Dans ce cadre, il peut auditionner la plaignante qui peut confirmer que le X évoqué par le procureur est Ousmane Sonko. C’est dans ce cas que le juge saisit le procureur général, qui saisit le ministre de la Justice et ce dernier saisit l’Assemblée nationale pour lever l’immunité parlementaire du député Ousmane Sonko.’’

Mais cela ne s’est pas passé comme ça, constate le député. ‘’Le juge d’instruction, ajoute-t-il, n’a toujours pas entendu les impliqués pour déterminer qui est X. Maintenant, ils veulent que l’Assemblée nationale fasse qu’Ousmane Sonko soit ce X. Ce n’est pas notre rôle. C’est pour cela que nous disons qu’il y a un vice de procédure. Et nous ne devons pas participer à quelque chose qui va enfreindre la loi et au règlement’’.  

Toussaint Manga : ‘’Il y a vice de procédure.’’

Sur le même tempo, son collègue du même groupe parlementaire charge le juge d’instruction. ‘’En moins de 24 heures, il a remplacé ce X par Ousmane Sonko sans enquête préalable, pour demander la levée de son immunité parlementaire. Je ne le ferai pas. Un juge d’instruction sérieux n’agit pas de la sorte’’, déplore Moustapha Guirassy.  

Dans cette affaire, ces députés de l’opposition insistent sur le fait qu’avant de mettre en place une commission ad hoc sur un fait, il doit y avoir des éléments sur lesquels se fondent les parlementaires pour statuer. Or, durant la plénière, le président de l’Assemblée nationale s’est contenté de lire le contenu des lettres du dossier transmis par le garde des Sceaux. Les députés n’ont pas disposé des éléments justifiant la demande de levée de l’immunité parlementaire du leader de Pastef. Même la Commission des lois, à qui il incombe de statuer sur la mise en place de cette commission ad hoc, n’a pas disposé du dossier.

Pour l’ancien ministre de la Communication sous le président Abdoulaye Wade, il s’agit de faits inadmissibles : ‘’Puisqu’ils ont la majorité, ils n’ont qu’à faire les choses dans les règles. On veut avoir des éléments sur lesquels se fonder pour décider de lever ou non l’immunité parlementaire d’un collègue.  On veut voir le réquisitoire du procureur, le certificat médical, les PV, etc. Nous n’avions rien reçu de cela.’’

Plus grave encore, fustige Moustapha Guirassy, ‘’nous avons pu disposer par nos propres moyens du PV et du certificat médical. Ils sont aux antipodes de ce que l’on nous a lu ici. Je ne juge pas. Mais qu’on respecte les droits d’Ousmane Sonko. Les PV présentés ici, c’est du faux, du truqué et ce n’est pas vrai. Ce qu’on voit, c’est qu’on veut offrir notre collègue Ousmane Sonko en pâture’’.

Jugeant que cette commission ad hoc est le fait de la majorité bien décidée à faire ce qu’elle veut, le groupe parlementaire Liberté et démocratie s’est désolidarisé du vote de sa composition.

‘’Les PV qui ont été lus sont des faux ; ce n’est pas vrai’’

Mais pour la majorité, la question est ailleurs. Selon la présidente de la Commission des lois, ‘’la nature de la plainte contre X ou dirigée contre Monsieur le Député Ousmane Sonko importe peu’’. Madame Dieh Mandiaye Ba insiste sur le fait qu’il n’appartenait pas à la commission d’examiner l’affaire au fond, ni de se prononcer sur l’exactitude des faits, encore moins sur la culpabilité ou non de leur collègue. En revanche, les membres de la Commission des lois sont invités à se prononcer uniquement sur la mise en place de cette commission ad hoc, décidée par la Conférence des présidents. 

Plus encline à avancer sur les questions politiques, Mously Diakhaté estime, quant à elle, que l’opposition est dans l’incohérence totale. Pour la députée du groupe parlementaire Benno Bokk Yaakaar, ‘’une commission doit être installée. Il a été demandé à l’opposition de donner ses représentants. Elle doit être constante dans sa démarche. Comment peut-elle accepter de donner des représentants dans la commission et attendre le moment du vote pour bouder ? Ce n’est pas sérieux. Ils auraient dû voter pour légitimer leurs représentants dans la commission ad hoc’’. 

Sur le vice de procédure souligné par ses collègues, Mously Diakhaté prend le contre-pied de ces accusations et assure qu’il ‘’n’y a jamais eu de X dans le texte que le président de l’Assemblée nationale a lu. Nous ne sommes pas fous au point de convoquer un collègue, élu du peuple, sur des accusations contre X. Il faut arrêter ces enfantillages. Ousmane Sonko est notre collègue, notre frère, un Sénégalais. Nous ne cherchons pas à le détruire, nous voulons écouter ce qu’il a à dire’’.  

Des informations confirmées par le député socialiste de la majorité, Abdoulaye Wilane, qui relève que Moustapha Niasse et Dieh Mandiaye Ba ont bien reçu des PV où le nom d’Ousmane Sonko est cité. Ce qui justifie, à ses yeux, la poursuite du processus de la levée de son immunité.

Aïda Mbodj : ‘’Nous comptons sur la presse…’’

Toutefois, cette procédure aura en face d’elle une opposition en bloc. Le président du groupe Liberté et démocratie, Serigne Cheikh Mbacké, a expliqué avoir boudé ‘’les travaux, car ce qui se passe est inadmissible. Macky est un dictateur et nous n’accepterons pas qu’il nous impose cela’’. La députée de la diaspora, Mame Diarra Fam, dénonce ‘’quelque chose d’horrible, capable de brûler le Sénégal’’.

Quant à l’avocate d’Ousmane Sonko, elle estime être en face ‘’d’un gouvernement qui veut museler à tout prix l’opposition’’. Raison pour laquelle, contre toutes les dérives observées, Aïda Mbodj compte sur la presse pour dénoncer cela.  

Lamine Diouf

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