Publié le 17 May 2022 - 23:26
MAMADOU SECK, EXPERT ÉLECTORALISTE

‘’Si l’on se fonde sur la loi, Yewwi a totalement tort’’

 

Ils sont nombreux, ces Sénégalais pris dans la bataille politique entre la coalition d’opposition Yewwi Askan Wi (Yaw) et la coalition Benno Bokk Yaakaar au pouvoir, sans pour autant savoir qui est dans le bon droit, dans le différend sur la liste départementale de Yaw à Dakar. Face à l’éventualité d’un rejet de ce dossier, lors de la vérification de la validité juridique, en raison d’un manquement à la loi sur la parité, tous les moyens politiques sont bons pour s’attirer le soutien de l’opinion publique sur cette question. Analyste politique, spécialiste des questions électorales, Mamadou Seck retrace les contours de la loi électorale pour démêler le faux du vrai, la politique du droit. Et selon le directeur du cabinet Synapsus Consulting, aucune disposition ne permet à la DGE d’accepter le remplacement d’un candidat sur les motifs évoqués par les opposants. Toutefois, dans l’optique d’une action positive en faveur du rayonnement démocratique sénégalais, il appelle à l'acceptation de la liste de Yewwi à Dakar. Entretien…   

 

Aujourd’hui (hier, NDLR), le mandataire de la coalition Yewwi s’est rendu à la Direction générale des Élections (DGE) pour remplacer des désistements sur la liste de Dakar et faire constater que Benno a présenté un surplus de parrains sur la liste nationale. D’abord, est-ce possible qu’une liste soit modifiée au niveau de DGE ?

Oui, une liste peut être modifiée sous certaines conditions. L’article L179 du Code électoral est très clair. À l’étude de la recevabilité juridique des dossiers de candidature, on peut se rendre compte que les pièces d’un candidat ont expiré. À défaut de pouvoir actualiser, il faut remplacer cette personne. Le mandataire, une fois notifié de l’irrégularité, dispose de trois jours pour corriger et remplacer cette personne. Un autre cas est lorsqu’on se rend compte qu’un candidat est inéligible. Par le même procédé, le mandataire peut remplacer ce dossier par un autre qui présente toutes les garanties d’éligibilité. Le troisième est en cas de force majeure. Un candidat qui décède avant une élection doit être remplacé.

À part ces possibilités, il n’est pas permis, dans le code, de remplacer des personnes, suite à des désistements. Maintenant, la personne qui se désiste peut ne pas battre campagne. S’il lui arrivait d’être élu, elle peut démissionner et le suppléant vient à sa place.

Dans le cas d’espèce, Yewwi Askan Wi n’a pas raison, donc ?

Ça, on l’a dit depuis. C’est dommage que les positions d’un spécialiste soient perçues comme déséquilibrées. Mais si l’on se fonde sur la loi, Yewwi a totalement tort.

Est-ce que la DGE a eu raison de dire qu’elle est incompétente pour le remplacement des désistements soulevés par Yewwi ?

La DGE ne peut pas outrepasser la loi. On ne lui a pas donné de prérogatives pour passer outre les termes bien clarifiés sur la recevabilité ou de la validation des listes. Elle est restée sur ses principes.

Quelles options reste-t-il à Yewwi pour le département de Dakar ?

Quand vous faites le tour de l’Afrique, tout en faisant des études pour comparer des modèles électoraux, vous comprenez que les lois ne font pas les processus. Les hommes font les processus électoraux. Sous ce rapport, les lois ne doivent pas être des facteurs de blocage. Elles ne viennent que pour encadrer les processus. Donc, rien n’empêche qu’on puisse passer outre ce potentiel blocage qui se profile. À un moment donné, les acteurs politiques peuvent avoir de la hauteur et accepter de se parler pour dépasser ce cap. Priver le département de Dakar d’une telle opportunité de frémissement démocratique porterait un coup à notre démocratie. L’opportunité de compétition qu’on pourrait voir à Dakar entre Yewwi et Benno, ce serait dommage d’en priver les Sénégalais.

À qui l’absence de Yewwi à Dakar pourrait-elle profiter ? Benno, Aar Sénégal, etc. ?

On est tenté de croire qu’il s’agirait de la coalition Benno Bokk Yaakaar qui a été mise en difficulté à Dakar lors de Locales. Ces joutes représentaient un test en vue des Législatives. L’état de l’opinion ne peut être volatile au point de radicalement changer entre janvier et maintenant. Donc, cette absence, si elle se confirme, pourrait profiter à Benno. Mais cela peut également créer l’effet contraire. Des électeurs pourraient voir cela comme des magouilles, une instrumentalisation ou des velléités d’exclusion et procéder à un vote-sanction dont pourrait bénéficier un troisième groupe comme Aar Sénégal ou une autre coalition. D’un point de vue symbolique, cela ne servirait pas à notre démocratie. Je le redis, une non-participation de Yewwi à Dakar nous priverait d’une confrontation épique et très intéressante pour notre démocratie.

Comment comprenez-vous qu’une coalition composée d’autant de leaders que celle de Yewwi Askan Wi puisse commettre une erreur aussi élémentaire sur la parité ?

En écoutant les langues se délier, l’on se rend compte qu’il y a eu beaucoup de problèmes lors de la confection des listes. La controverse autour du département de Dakar renseigne sur l’assurance que cette coalition savait que les sièges de disponibles à Dakar leur étaient garantis. Cela a logiquement fait l’objet de convoitise. L’autre élément, c’est qu’une coalition renferme énormément d’ambitions. J’ai l’impression que les leaders n’ont pas su asseoir des termes de référence très clairs qui auraient permis de régler cette situation. Dans toutes les démocraties avancées, les coalitions politiques se font sur cette base. De sorte qu’il peut arriver qu’un militant de seconde zone soit choisi au détriment d’un chef de parti, s’il répond mieux aux termes de référence de l’heure. Car ils peuvent évoluer en fonction de plusieurs facteurs (ambition des coalitions, contexte  politique, etc.). Malheureusement, j’ai l’impression que cela n’a pas été fait. Cela peut être lié à l’entente tardive avec la coalition Wallu Senegaal. On aurait compris qu’ils fassent preuve de sagesse et de grandeur en réglant le problème entre eux, sans le poser sur la place publique. Cela en dit long sur l’absence de consensus et d’esprit d’ouverture.

Est-ce que les leaders qui se bousculent sur la liste nationale n’auraient pas pu aller en compétition sur des listes départementales ?

Notre système électoral avec la clé de répartition proportionnelle à la nationale et majoritaire à la départementale, fait la part belle aux fortes coalitions très présentes sur le territoire national pour la liste nationale. À partir de ce moment, beaucoup se bousculent sur cette liste, car c’est presque de l’escroquerie. C’est la réalité du passager clandestin qui s’agrippe aux marches d’un véhicule sans payer le prix du transport et étant presque sûr d’arriver à bon port. Ainsi, il faut être très courageux et plein d’assurance pour oser se mettre sur une liste départementale, face à de fortes coalitions comme celle de Benno Bokk Yaakaar. Surtout que la réalité du contexte politique sénégalais est que les votes réactionnaires se font à l’intérieur du pays. Et cela profite souvent à la coalition qui a le pouvoir.

D’ailleurs, lors des élections locales de janvier dernier, Yewwi n’a gagné que les grandes villes. L’intérieur du pays est allé à Benno. Ça, c’est la sociologie du vote sénégalais.

Qu’est-ce que vous appelez ‘’vote réactionnaire’’ ?

C’est un vote qui n’est pas très ouvert au changement. Un réactionnaire est un électeur qui n’est pas ouvert à la présence de femmes sur les listes, par exemple. Dans l’intérieur du pays, la grande majorité des communes sont dirigées par des hommes. En France, tous ceux qui sont contre les LGBT sont considérés comme des réactionnaires, contrairement aux progressistes qui sont ouverts aux évolutions sociétales modernes.

Était-ce prévisible de voir Yewwi Askan WI imploser, après leur succès aux Locales ?

Je m’y attendais dès que l’annonce de l’accord avec Wallu a été faite. Des positions étaient déjà assumées de part et d'autre sur les listes. Cette entente a remis en cause certaines choses déjà acquises. Tous les leaders qui ont vu leurs positions remises en question ont été frustrés. C’était prévisible. Aussi, Yewwi a été victime de son succès. Ils n’ont pas pris le recul nécessaire pour évaluer leur nouveau statut et amorcer le cap des Législatives avec froideur.

Je veux dire mettre de côté toute forme de subjectivité, d’accointance, etc. Il aurait fallu un regard beaucoup plus politique. Même si je suis contre le cumul de mandats, politiquement, Yewwi ne peut pas mettre de côté un jeune qui a été plébiscité à Yoff. C’est une position acquise. Madiop Diop, à Grand-Yoff, a battu un adversaire avec tout l’appareil et la puissance de la coalition au pouvoir. Ne pas investir ce genre de jeunes, vu leur popularité dans de très grands bassins électoraux de Dakar, c’est avoir une mauvaise lecture de la situation.

Maintenant, il y a eu une ruée vers Yewwi. Et cette convoitise n’a pas été gérée de manière optimale.   

Revenons aux requêtes de Yewwi. Est-ce que l’argument du rejet de la liste de Benno pour excès de parrainages est soutenable ?

Il y a eu un arrêté du ministère de l’Intérieur qui semble dire - je ne l’ai pas lu - qui considère comme nul et non avenu les surplus de parrainage. Cela règle ce problème. Mais je dénonce, avec la dernière énergie, cette manie fâcheuse de Benno à vouloir chiffonner tous les parrains possibles sur tout le territoire national. C’est quelque part une volonté de parasiter le système et c’est inélégant. Si on interprète la loi avec toute la partie sanction que l’on retrouve dans le Code électoral, Benno devrait pouvoir être sanctionnée, car ils sont allés au-delà de ce qui leur est demandé. Et cela peut créer énormément de doublons qui pourraient bloquer le processus ou causer des conflits. Face à une impossibilité pour les acteurs politiques de pouvoir entrer en compétition faute de parrains, du fait d’autres acteurs qui ont parasité le système, cette coalition  enfreint un certain nombre de principes de liberté de participation à des élections. Ils ont lancé une course aux parrains pour être dans les bonnes grâces du chef. Pour l’avenir, il faudra prendre des dispositions pour qu’une fois le nombre de parrains atteints, une coalition ne puisse plus en collecter.  

On a vu l’effet qu’a eu le parrainage citoyen sur ces élections. En tant qu’expert de la chose électorale, êtes-vous pour ou contre le parrainage ?

En l’état actuel du système politique électoral sénégalais, une sélection s’impose. On avait 47 listes pour les Législatives de 2017. Mais après lecture, l’histoire nous a révélé que beaucoup de ces listes ont été suscitées par le pouvoir en place. Donc, c’était un problème créé de toute pièce auquel on a apporté de mauvaises solutions. Il faut d’abord fixer cette responsabilité. Maintenant, les conditions dans lesquelles on est en train de nous imposer le parrainage ne sont pas les meilleures. Il y a eu énormément de couacs lors de la Présidentielle 2019. Depuis, les améliorations apportées par le législateur ne sont  toujours pas abouties. On est dans des dynamiques d’apprentissage qui prendront du temps. Il faut ainsi éviter le fétichisme de la loi, chercher à contourner ces blocages par des discussions et des négociations. On n’a pas fini de bien réfléchir et cerner les contours d’un parrainage qui nous permettrait de l’appliquer dans les meilleures conditions.

Le parrainage peut poser problème, car c’est heurter quelque part la dynamique de la nature des processus. S’il y avait une sélection de ce type aux États-Unis, il n’y aurait jamais eu un Barack Obama. C’est au contact des gens que l’ancien président américain a eu le niveau de performance politique qu’on lui connaît. Il n’avait pas cette aura et cette popularité dès les premiers moments de l’expression de sa candidature. C’est au fil du temps que les gens ont adhéré à ses idées et positions. Le parrainage va nous priver de talents politiques dont les ambitions seront tuées dans l’œuf.

Justement, on a vu l’affaire Pape Djibril Fall et le Pr. Amsatou Sow Sidibé. Comment comprendre qu’il peut y avoir des recels de parrains, de politiques capables de sécuriser des parrains et les monnayer au besoin ?

On avait déjà vu cela, lors de la Présidentielle, lorsque certains vendaient leurs parrains à d’autres. Mais tout cela n’est que l’expression de mauvaises pratiques que l’on retrouve en général dans l’espace public. Toutes ces pratiques nébuleuses se voient dans tous les milieux. Il est tout de même difficile de leur opposer une quelconque loi, car cela peut être des négociations entre coalitions. C’est surtout la parole de l’un contre l’autre.

D’un point de vue technique, le parrain qui parraine un candidat, alors que ce parrainage peut être reversé à un autre, est-ce valable, normal ?

Il doit y avoir une traçabilité et une transparence pour que celui qui a fini de parrainer puisse accéder à un fichier pour vérifier si son choix a été respecté jusqu’au bout du processus.

Quelle est la bonne solution pour sortir de tout cet imbroglio ?

Je suis dans l’expertise électorale depuis 15 ans. J’ai accompagné des processus dans plusieurs pays africains. Je n’insisterais pas seulement sur les problèmes du parrainage. On peut y trouver des solutions. Le digital nous aurait permis de régler tous les problèmes. Tout simplement, en donnant des tablettes du ministère de l’Intérieur à tous ceux qui veulent recueillir des parrainages. Avec le fichier électoral sur les tablettes, les empreintes digitales permettront d’identifier l’électeur et de sécuriser son parrainage. Cela offre une célérité de l’information, en recueillant les données en temps réel. De cette façon aussi, celui qui atteint le nombre requis de parrains verra son compte bloqué par Direction générale des Élections.

J’ai épluché les systèmes électoraux de 10 États américains. À chaque fois, il y a le digital et La Poste qui permettent de régler les complications. Malheureusement, personne ne parle de La Poste au Sénégal dans le processus électoral. Aux États-Unis, elle est le meilleur support de distribution des cartes d’électeur. En retour, cela permet de revitaliser La Poste.

Lamine Diouf

 

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