Deux hommes, deux parcours, un même sort

Le Premier ministre Ousmane Sonko a finalement eu son remaniement pour limoger les deux ministres les moins dociles de son gouvernement : le ministre de la Justice Ousmane Diagne et son homologue en charge de la Sécurité publique, Jean-Baptiste Tine. Deux ministres, un même sort.
S’il y a une chose qui frappe chez le Premier ministre Ousmane Sonko, c’est qu’il n’avance pas masqué dans ses combats. Il proclame ses intentions haut et fort, puis les exécute sans détour. C’était un secret de Polichinelle : il ne voulait plus ni du ministre de la Justice Ousmane Diagne ni de celui de l’Intérieur Jean-Baptiste Tine. Deux hommes qui s’étaient pourtant illustrés lors de la crise préélectorale, en prenant des décisions qui leur ont valu leur limogeage. L’un était procureur général près la Cour d’appel de Dakar, l’autre haut commandant de la gendarmerie nationale.
Leur cohabitation avec le Premier ministre était devenue quasi impossible. Sonko se veut chef de guerre, un général qui commande. Les autres lui doivent discipline et obéissance. Seulement, Jean-Baptiste est un haut officier de la gendarmerie nationale, qui aura gravi tous les échelons. Il a appris à être plus redevable aux lois qu’aux hommes. Cette posture, il l’a payée cher à plusieurs reprises durant sa carrière bien remplie. Idem pour Ousmane Diagne, haut magistrat, très à cheval sur les principes républicains.
Les menaces répétitives du PM
À plusieurs reprises, le PM et non moins président de la majorité les a publiquement tancés. La première fois, c’était lors des élections législatives de décembre 2024. Les accusant de passivité face aux agressions contre ses partisans qu’il imputait à son adversaire Barthélemy Dias, il fulminait : “… S’ils ne règlent pas le problème dans les 24 heures, en arrêtant les coupables de ces forfaitures, je vais le régler à ma façon.” En fin tacticien politique, il a voulu faire croire que ses deux ministres qu’il a fait nommer et qui sont connus pour leur loyauté roulent contre son camp.
Cette mise en garde en disait déjà long. Pour Sonko, la loyauté politique doit primer sur la neutralité institutionnelle. Dans ses diatribes, il n’avait pas non plus épargné le président de la République, coupable de cultiver l’image d’un chef au-dessus de la mêlée. “Je n’accepterai pas qu’on s’en prenne à nos militants chaque jour au nom d’un pays qui aurait changé. Je ne l’accepterais même pas pour le président”, martelait-il non sans rappeler qu’il est le Premier ministre, chef du gouvernement, que quand il donne des ordres, ses ministres ont l’obligation de s’exécuter.
Deux hommes limogés par Macky Sall pour des faits quasi similaires
Les deux désormais ex-ministres ont toujours eu cette réputation. Dans son édition du 2 février 2023, ‘’EnQuête’’ revenait sur les raisons du limogeage de l’alors procureur Ousmane Diagne. Le journal informait que le garde des Sceaux a surtout été courroucé par la saisine de la Division des investigations criminelles (Dic), suite à la plainte déposée par Ousmane Sonko contre Maîtres So et Elh Diouf. “Interpellé par la tutelle, le désormais ancien chef du parquet de Dakar l’a tout bonnement envoyé balader”, révélait le journal qui évoquait aussi la plainte déposée par le même plaignant contre le procureur de la République Serigne Bassirou Guèye.
Idem pour le général Tine, ex-haut commandant de la gendarmerie emporté deux ans plus tôt par l’affaire Adji Sarr-Ousmane Sonko. Selon ‘’EnQuête’’, dans son édition du 22 juin 2021, on lui reprochait surtout de n’avoir pas eu la main très lourde contre les casseurs. Il lui était reproché également sa gestion de l’affaire capitaine Touré. Le général, qui avait fait ouvrir une enquête, avait découvert des choses qui lui étaient jusque-là cachées, ce qu’il avait vécu comme une trahison révélait ‘’EnQuête’’. Il fut par la suite limogé et affecté en Russie comme ambassadeur.
Deux Thiessois et hommes de refus
Natif de Thiès en 1961, formé à Meknès et à Melun, Jean-Baptiste Tine a fait toute sa carrière dans la gendarmerie nationale. Fervent catholique, d’une rigueur presque ascétique, il incarnait pour beaucoup “le bon soldat” : discret, cultivé, loyal — mais dévoué avant tout à la République.
De lui, l’opposant Ousmane Sonko disait au plus fort de la crise : “Il faut se demander pourquoi ils ont enlevé général Tine. Il y a dans ce pays des gens dignes, qui n’acceptent pas de faire certaines choses. Lors des événements de mars, on leur avait demandé de réprimer les manifestations, de tirer sur les populations et ils ont refusé. C’est aussi valable pour celui qui dirigeait la police nationale.”
Originaire également de Thiès comme son collègue d’infortune, Ousmane Diagne est aussi connu comme étant un homme de refus qui aura fait face à tous les régimes. D’abord sous Wade face à des ministres comme Cheikh Tidiane Sy et Ousmane Ngom, ensuite sous Macky face aux ministres comme Aminata Touré et Ismaila Madior Fall, il disait lui-même en 2013, lors de sa première sanction par le régime de Macky Sall : “À chaque fois qu’il m’a été possible de dire non, j’ai dit non de la façon la plus ferme.”
Plus récemment, acculé par Pastef : ses ministres, directeurs généraux et députés, il répondait avec la même fermeté : “Je n’ai jamais accepté qu’on fasse pression sur moi, surtout dans un sens déterminé. Qu’on ne compte pas sur moi pour exercer la moindre pression sur les magistrats du siège.”
Ousmane Diagne ne s’est pas limité à cette affirmation. Soulignant qu’il n’a aucune autorité sur eux les juges, il leur manifestait tout son soutien aux magistrats et réaffirmait sa confiance. “Je sais qu’ils abattent un excellent travail. Il leur arrive - et je pense que c’est la plus grande innovation de notre temps - il leur arrive de rendre des décisions en contradiction avec les réquisitions du parquet. Je n’ai jamais eu à émettre la moindre critique. C’est de leur responsabilité, c’est de leur prérogative”, réagissait-il face aux attaques.
PAR MOR AMAR