Publié le 1 Oct 2013 - 19:00
PR IBRAHIMA SYLLA, POLITOLOGUE

«Macky Sall est un président de transition»

 

 

Docteur en sciences politiques, enseignant-chercheur à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, Ibrahima Sylla jette un regard critique et lucide sur la situation politique du Sénégal. Dans cet entretien accordé à EnQuête, l’auteur du récent livre intitulé «Mauvaises ambiances démocratiques» est convaincu que Macky Sall est un président de transition et qu’il ne fera pas plus d’un mandat.

 

 

 

Vous venez de publier un ouvrage intitulé : «Mauvaises ambiances démocratiques». Pourquoi ce titre ?

Les sociétés ont pour ambition d’assurer leur sécurité, d’assurer leur unité, de s’organiser de manière pacifique, d’instaurer un ordre dans la société. D’ailleurs, on définit le politique comme cette idée d’ordre indispensable dans la société. Donc les sociétés ont mis en place des principes. Et l’un des principes dans nos sociétés modernes, c’est la démocratie. La démocratie a été un type de régime importé voire imposé en Afrique. Elle n’est pas le meilleur des régimes. Certains comme Tocqueville pensent que c’est le moins mauvais de tous les régimes. La démocratie soutient l’idée selon laquelle la souveraineté appartient au peuple qui l’exerce par la voie des élections. Par conséquent, nous devons organiser les élections de manière pacifique et démocratique. Mais dans nos sociétés, l’élection est un moment qui nous conduit à vivre dans une sorte d’instabilité.

 

Qu’est-ce qui explique cela ?  

Quelque part, il y a une tradition de violence dans nos sociétés parce qu’on n’a pas d’arguments à opposer. Vous voyez un homme politique demander à des gens d’aller saboter le meeting d’un adversaire ! C’est parce qu’ils sont à court d’arguments qu’ils agissent ainsi. C’est problématique !

 

A travers des chapitres comme «mauvaises nouvelles des urnes», «mauvaises traditions parlementaires», «mauvaise ambiances universitaires», etc., exprimez-vous votre pessimisme quant à la situation du pays ?

Je suis extrêmement optimiste ; je suis un anti fataliste. Je crois que le Sénégal aura des lendemains meilleurs. Mais ce livre est un cri du cœur. Je l’ai écrit pour sensibiliser. Je ne voudrais plus que l’on vive cela (la situation préélectorale de 2012). C’est pourquoi je dis : «Dire bellement la douleur participe de son authenticité». Je décris des choses qu’on a vécues douloureusement dans notre pays, sans pour autant être pessimiste. Le titre peut induire en erreur ; mais le message que je veux lancer c’est : «Plus jamais ça !».

 

Et comme faire pour y arriver ?       

Il faut de la sensibilisation. On est dans un Etat de droit, cela suppose qu’il y a une Justice. Il faut que les partis politiques soient sensibilisés sur la possibilité d’organiser des élections sans heurts, sans mort. Sous Wade, il y avait des hommes qui jouaient avec les institutions. Imaginez par exemple que Macky Sall, qui a promis de ramener son mandat à 5 ans, revient pour dire qu’il fera 7 ans ! Ce sera l’instabilité. Il faut que les hommes politiques respectent leur parole et que l’on mette l’accent sur le débat. Au Sénégal, on discute de tout sauf de programme. Dans ce cas, la violence devient une proie facile pour celui qui est à court d’argument.

 

Vous définissez la politique comme une activité à la fois suprême et extrême. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?

La politique, c’est l’art de gérer les mécontentements, les paradoxes. Pourquoi je dis que la politique est l’activité suprême ? C'est que finalement, tout peut se réduire à la politique. La société peut se passer de l’Etat - il y a des sociétés sans Etat -, mais une société ne peut pas se passer de la politique. Pourquoi l’activité extrême ? Il y a des gens pour qui les ambitions de s’opposer au pouvoir, d’influencer le pouvoir, les ramènent à des radicalisations extrêmes. La politique a conduit au troisième Reich avec Hitler, au nazisme, au stalinisme, au totalitarisme. Au nom de la politique, on est tombé dans un fondamentalisme, dans l'intégrisme religieux.

 

Quel regard portez-vous sur la gestion du pouvoir de Macky Sall ?

Les Sénégalais doutent de la clarté de la vision du régime actuel. Et quand on dit vision, c’est la direction qu’il va prendre, les projets qui sont clairs, identifiables, l’horizon qu’on s’est fixé. Avec  Abdoulaye Wade, on savait un peu, avec Senghor, Diouf, pareil. Ce qui n’est pas le cas avec Macky Sall. Et cela peut se comprendre. Jusqu’à preuve du contraire, je pense que Macky Sall est un président de transition. Il est dans un quinquennat qui va déteindre largement des remous qu’on a eus en 2000. Les gens avaient dit que Wade ne devait pas être candidat. Certains ont même dit qu’il n’y aurait pas d’élection. Macky Sall a été le premier à battre campagne dans des conditions d’incertitude. Finalement, il passe au second tour. Quelquefois, ce sont ces événements auxquels on ne s’attendait pas qui viennent propulser à la magistrature suprême un candidat imprévu. Macky Sall n’était pas attendu. Il y avait un tel émiettement de l’opposition qu'il a pu se contenter de 25% au premier tour. Et comme le slogan était «tout sauf Wade !», l’opposition était obligée de soutenir Macky Sall. Mais derrière les  65%, il faut savoir qu’il y a eu un fort taux d’abstention, d'environ 41%. Cela veut dire qu’un Sénégalais sur deux ne s’est pas déplacé. Il y avait 5 millions d’électeurs, seuls 2 millions sont allés voter.

 

Vous voulez dire que Macky Sall jouit d’une légitimité précaire ?  

Il y a une certaine fragilité de la légitimité. Je ne le dis pas pour invalider sa légitimité. J’ai entendu des gens qui disent que Macky Sall est le président le mieux élu au Sénégal. C’est totalement faux ! Moi j’ai cherché à le démontrer en disant que Wade en 2007 avait 1,9 million de voix, il est passé au premier tour. Celui qui passe au premier tour n’est-il pas mieux élu que celui qui est passé au second tour avec des coalitions ? Il faut simplement dire qu’il est élu. Car le fait de dire qu’il est le mieux élu est une contrevérité que nous, en science politique, nous ne pouvons pas accepter.

 

Cette perception peut-elle avoir des conséquences sur la gestion  de l’Etat ?

Bien sûr ! Il (Macky Sall) peut se dire : «Je suis le mieux élu», et les gens qui l’ont soutenu vont développer des slogans qui sont des contrevérités et qui le mènent droit au mur.

 

Des slogans du genre «nous avons gagné ensemble, nous allons gérer ensemble»…

C’est totalement faux ! Ils n’ont pas gagné ensemble. Ils sont venus au second tour. Tous les candidats avaient leur propre programme distinct de celui de Macky Sall. Au second tour, ils s’allient à lui car ils ne pouvaient pas faire autrement. Les Sénégalais ont sanctionné les autres en élisant Macky Sall qui, aujourd'hui, s’enferme dans une logique de partage du pouvoir. Il demande à Idrissa Seck de lui envoyer deux ministres, Ousmane Tanor Dieng, de lui en envoyer trois, etc. Un gouvernement ne fonctionne pas comme ça. On ne sent pas une ligne directrice, une vision partagée au tour d’un programme commun. Ils sont tous dans une mauvaise foi politique qui consiste à dire : «On joue le jeu jusqu’à la prochaine élection.»

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