Publié le 15 Nov 2019 - 02:18
REVISION DE L’AVION PRESIDENTIEL

‘‘Pointe Sarène’’, Airbus incommodant  

 

Avec ‘‘son’’ avion immobilisé une énième fois pour révision, le très mobile président Macky Sall est chaque jour devant l’urgence d’adresser un problème que les Sénégalais apprécieront très peu. Voire pas du tout.

 

Macky Sall qui rentre au Sénégal sans l’avion de commandement. C’est arrivé ce dimanche, quand il est revenu d’un sommet de la Cedeao, avec un crochet sur Ouagadougou où l’appareil de son homologue nigérien l’a ramené sur Dakar. Moins d’un trimestre plus tôt, en septembre 2019, ‘‘Pointe Sarène’’, surnom de l’Airbus présidentiel sénégalais, avait également était immobilisée pour révision, après que le chef de l’Etat est rentré du Congo par un autre Airbus. Une révision sans grand résultat, a priori.

‘‘A son retour, il y avait toujours problème. L’avion avait une panne. Donc, il n’était pas disponible. C’est pourquoi il n’a pas pu porter le président lors de son dernier déplacement. Il est encore en révision’’, a avancé ce mardi le ministre conseiller en charge de la Communication de la présidence, Seydou Guèye, interrogé par nos confrères de ‘’Seneweb’’.

‘’Pointe Sarène’’ refait des siennes et les dernières tribulations dans le domaine de la navigation aérienne, comme l’accrochage entre le Falcon présidentiel français et l’appareil sénégalais à l’aérodrome de Saint-Louis, et le crash d’un avion médicalisé en septembre 2015 fatal à sept personnes. Al Hassane Hane, le technicien avionique supérieur qui avait lancé l’alerte avant ce crash aérien mortel, explique que pour l’option à adopter, tout dépend de la nature de la panne. ‘‘C’est la cellule qui pose le plus de problème dans la révision d’un avion. Si c’est le moteur qui a des problèmes, on l’enlève et on remet un de neuf. Si le système intérieur est défaillant, tout le système peut être changé. Mais s’il s’agit d’une cellule défaillante, là c’est très sérieux. Il vaudrait même rebuter l’avion. Les gens ont essayé de voir, mais...’’, a-t-il expliqué à ‘’EnQuête’’ par téléphone.

Cellule ? ‘‘Un avion n’est pas comme un véhicule. Avant tout, c’est la cellule, c’est-à-dire l’ossature et le revêtement. Ce qu’on voit quand il vole, la silhouette, c’est ce qui est important. Le fuselage, les ailes, les empennages, etc. Tout le reste, comme les moteurs, les aménagements et équipements qui sont rapportés… Ils marchent, tant mieux. Ils ne marchent pas, on les enlève et on les change’’, se fait-il plus explicite.

D’après lui, le potentiel d’un appareil (durée de vie) est vraiment relatif. Le principe est que si la navigation est supportable pour la cellule, l’appareil est certifié. ‘‘On peut avoir un appareil tout neuf, en proie à d’énormes intempéries qui ne vivra pas longtemps. Un avion très bien suivi peut aller au-delà des espérances. Ce sont des cycles de potentiel qui sont définis par le constructeur qu’il faut respecter’’.

L’argument de la vieillesse relativisé

‘‘Pointe Sarène’’, précédemment ‘‘Pointe de Sangomar’’, est un Airbus A319 acquis officiellement en 2011, alors vieux de huit ans, par le président Abdoulaye Wade à 20,9 milliards de F Cfa, alors que ‘‘le prix unitaire peut avoisiner les 60 milliards’’, informe M. Hane. Initialement doté de 30 places, il a été acheminé à Perpignan et ‘‘réadapté’’ aux goûts du président Wade. Dans le passé, ‘’Pointe Sarène’’ a servi d’avion de commandement à l’armée française pour le déplacement des présidents français, explique M. Hane. Une acquisition qui s’est faite après une révision générale.

Si cet appareil est loin d’être le nec plus ultra de la compagnie Airbus, le technicien avionique disqualifie l’argument de la longévité qu’a évoqué Seydou Guèye.

‘‘L’âge d’un avion est extrêmement relatif. Un avion est programmé pour faire un système de calcul de vie calendaire ou horaire. On fixe un certain nombre de semaines, de mois, d’années et à chaque butée calendaire ou horaire, l’avion doit effectuer une révision générale. Lors de ces visites, l’avion est scruté de fond en comble. Des spécialistes sont là surtout pour la cellule dont se chargent les éléments de la Ndi qui inspectent l’état même de la cellule. Quand l’avion arrive, les moteurs sont enlevés et envoyés à l’unité de production pour la révision. Ce sont les spécialistes moteurs qui s’en occuperont et les spécialistes cellule s’occupent de la cellule’’, explique-t-il.

L’ancien chef du gouvernement, Abdoul Mbaye, semble être du même avis. ‘‘L’avion présidentiel inquiète ? Il n’est pourtant pas vieux. Il n’a que 20 ans ; celui de Donald Trump en a 30. Il suffit de faire la révision adéquate’’, a-t-il posté sur sa page Facebook hier. Les Etats-Unis prévoient toutefois d’acquérir deux autres ‘‘Air Force One’’ en 2024. En principe, l’A319 exige une révision tous les 5 à 6 ans, fait savoir le technicien avionique, avec des prolongations qui peuvent être accordées par le constructeur, avec l’obligation d’aller en révision générale à l’issue.

Deux solutions à équations budgétaires

Dans tous les cas, l’Etat du Sénégal est en face d’un besoin pressant. La solution la plus pragmatique, face aux pannes à répétition de ‘‘Pointe Sarène’’ combinées aux déplacements fréquents de Macky Sall, est très difficile à arbitrer. Dans un contexte de resserrement où l’orthodoxie est même allée jusqu’à imposer un budget-programme aux différents ministères pour le projet de loi de finances 2020, l’Etat du Sénégal pourrait-il se permettre pareille acquisition ? ‘‘Mais peut-être prépare-t-on le peuple qui souffre à une autre dépense somptuaire de notre grand président ? Au fait, que sont devenus hélicoptère et Mercedes si coûteux ? Pourra-t-on obtenir de lui qu’il pense davantage à la détresse de ses compatriotes et notamment à l’insécurité alimentaire annoncée par la Fao qui devrait affecter 975 000 Sénégalais ?’’, s’indigne Abdoul Mbaye sur son compte Facebook.

Le technicien Al Hassane Hane estime également que face aux urgences sociales et les nouvelles orientations budgétaires, l’option d’une révision profonde et sérieuse est la plus profitable. ‘‘Le Sénégal vit des heures extrêmement difficiles. L’acquisition d’un nouvel appareil n’est pas une priorité pour l’Etat. Si cet appareil peut être structurellement révisé, remis à neuf, autant le faire et s’épargner frais d’acquisition, formation de personnel et autres’’, explique-t-il. Mais même pour ce choix de faire réviser l’Airbus, seules les opérations de premier échelon peuvent s’effectuer localement. Les visites majeures supposent d’envoyer l’appareil en unité de révision chez des firmes qui ont la licence pour intervenir sur les pannes. Ce qui n’est pas sans répercussion sur le budget.

Aux premières heures de ‘‘Pointe Sarène’’ sous Wade, l’appareil avait initialement un équipage composé de Français pour l’essentiel, pris en charge financièrement par l’Etat français jusqu’à la fin du transfert de compétences de leurs collègues sénégalais. Présentement, la réparation (ou éventuellement un nouvel achat) suivrait également la même procédure de mise à jour du personnel navigant technique sénégalais. ‘‘Après révision, le pilote et les mécaniciens sont aussi mis à l’épreuve. Il y a des vols de contrôle, des vols d’acceptante pour voir si l’avion est navigable avant la livraison’’, explique M. Hane. Une réparation à moins de frais à laquelle le technicien suggère l’acquisition, différée, d’un petit jet dans le parc présidentiel pour pallier ces genres de manquements et pour les déplacements express.

Des interrogations d’une opinion qui ne devrait pas être plus avancée sur les montants à décaisser pour révision ou nouvelle acquisition, puisqu’en principe les coûts budgétaires sont supportés par l’armée dont les fonds ne sont pas soumis à la plénière de l’Assemblée, lors du vote des lois de finances. Le secret qui entoure la vraie nature de la panne s’explique aussi par le caractère sensible d’une telle information jalousement gardée par le commandement.

En Chine, suite à 27 défauts découverts dans le Boeing que le président Jiang Zemin avait commandé chez Delta, le président chinois ne dispose officiellement plus d’un avion personnel depuis 2000. C’est à bord des appareils de la compagnie nationale Air China que Xi Jinping se déplace.

Une piste de la préférence nationale à ne pas exclure pour Macky Sall. L’équation demeure irrésolue, tout compte fait, et M. Hane s’en impatiente. ‘‘Il faudra bien régler ce problème. Et vite !’’.

OUSMANE LAYE DIOP

Section: