Guerre des lobbies autour d'Aly Ngouye Ndiaye
Le stockage des hydrocarbures est, comme tout ce qui touche au secteur de l'énergie, une affaire stratégique et de gros sous. Aujourd’hui, cette prérogative revient uniquement à Senstock SA, depuis que l'ancien super ministre en charge, entre autres, de l'Énergie, Karim Wade, a à travers ''une simple lettre'', enjoint l'arrêt des activités de réception et d'entreposage des autres pétroliers opérant au Sénégal. Avant lui, le ministre de l'Énergie Samuel Sarr avait sorti un arrêté ministériel portant stockage des hydrocarbures liquides issus de l'activité de raffinage uniquement dans les dépôts appartenant à la société Senstock.
L'article premier dudit arrêté indiquait que ''les hydrocarbures liquides issus de l'activité de raffinage sont exclusivement stockés dans les installations de Senstock SA''. Outre le fait que l'arrêté de Samuel Sarr avait été très mal perçu par les autres acteurs (Shell, Total, Mobil ainsi que les indépendants), le tollé suscité par cette décision avait fait reculer le ministre d'alors de l'Énergie. Mais pas son successeur au dit département, Karim Wade, qui avait fait appliquer la mesure en septembre 2011. Ainsi, toute la production de la Société africaine de raffinage (Sar) devait être exclusivement stockée et chargée à partir des installations de Senstock.
L'argument principal qui avait été avancé pour entériner la fermeture des autres dépôts était ''un problème de sécurité''. ''Ils disaient que les pipelines de la Sar sont dangereux, alors que ce sont les mêmes pipelines qui desservent aussi les installations de Senstock'', évacuent des acteurs du secteur.
Toutefois, la donne est en passe d'être changée. Au mois d'août dernier, dans un souci de clarté et d'équité, le nouveau ministre de l'Énergie, Aly Ngouille Ndiaye, a fait faire par un cabinet indépendant des audits sur l'ensemble des dépôts pétroliers en exploitation ou fermés. Le rapport, dit-on, est présentement sur la table du ministre. Mais cela risque de ne pas être simple à trancher pour Aly Ngouille Ndiaye.
Selon des sources proches du milieu des hydrocarbures, ''il y a un intense lobbying pour que les choses restent en l'état et que Senstock continue d'avoir le monopole du stockage''. En effet, tout le monde s'accorde à dire que les enjeux sont énormes. Pour les pétroliers qui ont vu leurs dépôts fermés, ''le manque à gagner se chiffre en milliards de F Cfa'', affirme-t-on. Rien que les ''frais de passage reviennent à 500 millions par mois'', soufflent nos interlocuteurs. Les pétroliers ''lésés'' sont obligés d'acheter leurs produits auprès de la Sar qui les pompe dans les installations de Senstock, alors qu'ils disposent d'installations de stockage et de chargement opérationnelles et jouissent d’une expertise solide.
Ces acteurs continuent à s'insurger contre la fermeture de leurs dépôts qui a été faite, selon eux, ''sans étude préalable''. Il s'y ajoute que la décision de fermer les entrepôts était du ressort du ministère de l'Environnement et non de l'Énergie. Sans compter que la décision de donner le monopole à Senstock a causé non seulement la perte d'emplois de centaines de pères de familles mais aussi la quasi-faillite des entreprises qui gravitaient autour de ces entrepôts.
D'ailleurs, une enquête réalisée par le journaliste Abdou Latif Coulibaly, actuel ministre en charge de la promotion de la Bonne gouvernance, et publiée dans le magazine La Gazette, avait essayé de faire la lumière sur cette ''nébuleuse et sombre affaire à tout point de vue''. Outre les révélations sur l'actionnariat de Senstock et le système de portage qui a prévalu à son montage, l'hebdomadaire faisait état ''de combines indécentes inavouables''. Ainsi que l'a révélé La Gazette, ''le capital social de Senstock SA est comme suit : Diprom : 65%, SAR : 20% et TOTAL : 15%''.
La balle est donc dans le camp du ministre Aly Ngouille Ndiaye. Il devra trancher pour le statu quo vécu par certains comme une ''injustice'' ou rétablir les lois et règlements en vigueur depuis la réforme de 1998 dans le stockage des hydrocarbures.
Gaston COLY