Publié le 27 Jun 2014 - 08:26
MOUSSA KAMARA (PSYCHIATRE)

''La violence ? Chaque société mérite ce qui lui arrive''

 

Pour le Dr Moussa Kamara, psychiatre à Fann, il y a moyen de comprendre l'explosion de violence qui frappe aujourd'hui le pays, dans le contexte d'une campagne électorale qui fait gicler beaucoup de sang...
 
 
On note une recrudescence de la violence, en particulier au plan politique. Qu’est-ce qui s’est passé pour que les Sénégalais versent de plus en plus dans la violence ?
 
Il n’y a pas de théorie toute faite sur la question. La violence a toujours existé. La différence, c’est qu’elle était, jadis, domestiquée, ritualisée. Aujourd’hui, vu que nos repères culturels sont bouleversés, toutes les étapes par où l’enfant passait n’existent presque plus. On a ainsi perdu toute cette socialisation de la violence. C’est le sauve-qui-peut. Ce sont des émotions qui doivent s’extérioriser. Soit elles sont domestiquées, soit elles sortent instinctivement. La violence fait partie de l’être.
 
Existe-t-il un lien entre cette flambée de la violence et la crise économique qui a engendré une crise des valeurs ?
Il faut souligner qu’il existe d’autres facteurs extérieurs qui vont potentialiser l’émergence de cette violence. Vous n’êtes pas sans savoir que quand on est pauvre, on est vulnérable, aussi bien pour sa santé que pour son comportement. On a l’impression de survivre, au lieu de vivre. On est plus fragile et plus exposé à ces phénomènes. C’est la fameuse pyramide de Maslow.
 
La violence serait-elle un exutoire ?
 
Mais ce n’est pas une excuse pour tolérer la violence. Il existe plusieurs façons d’exprimer ce que l’on ressent.
 
C'est-à-dire ?
 
On parle d’actes manqués. Il s’agit de choses enfouies dans l’inconscient que la personne a du mal à faire sortir. Quand le niveau de vigilance baisse, dans son rêve, dans sa communication, par exemple, cela se traduit par des actes manqués, des lapsus, etc. C’est par exemple une manière de faire sortir des choses que l’inconscient ne peut pas métaboliser. Pour vous dire qu’il y a plusieurs moyens de faire ressortir ce que nous avons à l’intérieur de nous-mêmes sans passer par la violence. 
 
Une absence de cadre d’expression serait-elle en cause ?
 
C’est sûr qu’il y a une absence de cadre, vu qu’on a perdu, au niveau culturel, des valeurs et des repères. L’avantage de ces prédispositions est qu’elles procuraient à l’individu un sentiment de bien-être. Il sentait une appartenance sociale et avait une identité claire. Ce sont des éléments qui renforcent la stabilité de la personne et la protègent des dérives. Mais la violence n’est pas seulement la conséquence d’identité. Les notions sont assez globales. Mais, il faut souligner que les violences, les vices, entre autres, traduisent le mal être qu’une personne peut vivre. La violence est plus ou moins une expression de ce mal être intérieur.
 
Qu’en est-il de la violence qui émaille le monde de la lutte ?
 
Un collègue camerounais a consacré un mémoire de fin d’études sur cette question. Comme réflexion, il souligne que c’est à cause de cette violence que la lutte connaît son succès actuel. Elle charrie des émotions fortes. Elle excite son public. La lutte simple n’a pas le même enthousiasme que la lutte avec frappe.
 
Le Sénégalais est-il un féru de violence ?
 
Il y a un jeu de cache-cache entre le conscient et l’inconscient. On ne peut admettre que j’aime la violence, raison pour laquelle je m’intéresse à la lutte. C’est un combat paradoxal. On fait la promotion de la non-violence, les promoteurs se retirent parce qu’il y a la violence. Mais est-ce qu’on peut empêcher l’expression de cette violence ? On donne des coups, le sang gicle, le public s’excite. C’est une réponse par rapport à des choses contradictoires. 
 
Que préconisez-vous pour éradiquer tout ce mal inquiétant ? 
 
Inquiétant ? Nous sommes violents par rapport à nous-mêmes. Ce sont les paradoxes de la société : on creuse un trou et on remet du sable dans ce trou. Cela ne va pas de pair. Au niveau traditionnel, il existe de très bons moyens de domestiquer cette violence avec des rituels. Mais, comment faire avec une société qui est en perpétuelle évolution ? Est-ce qu’il faut retourner en arrière ? On n’a pas les moyens de le faire. Il faut penser à des solutions tout en ayant en tête que la solution n’est pas dans le passé. 
 
Restaurer nos valeurs n’est donc pas la solution.
 
C’est toujours bien de le faire. Ce qu’il faut retenir d’une évolution, c’est qu’elle n’est jamais spontanée. Les éléments que l’on observe dans une évolution sont des résultats de choses qui se sont déroulées depuis des décennies. Les sciences humaines le disent bien : ‘’chaque société mérite ce qui lui arrive’’. 
 
Par MATEL BOCOUM
 
 
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